Les errements d’une vision économiciste
de la situationsociolinguistique d’Haïti
Par Lemète Zéphyr
Linguiste
Didacticien de langues étrangères, traducteur-interprète
Port-au-Prince, mars 2016
J’ai lu Retour sur l’article “Économie d’unelangue et langue d’une économie” (1) de Leslie Péan avec une attentionsoutenue, étant donné le déchaînement des passions auquel a donné lieu larésolution de la CARICOM d’adopter le français comme deuxième langue de travailsur proposition du président haïtien, M. Michel Joseph Martelly, lors du sommetde la CARICOM tenu à Port-au-Prince les 23 et 24 février 2013, sous laprésidence tournante d’Haïti.
L’articleest rédigé en signe de révolte exprimée sous forme de problématique: Combien de livres sontimprimés en créole par an et combien d’enseignants sont qualifiés pourenseigner le créole dans le cursus primaire? Est-ce le moment de s’occuper d’unmot créole pour en faire l’enjeu de cinq jours de discussions? Quelleconscience de la réalité immédiate a besoin d’un tel langage, de telleséchappatoires?” reprise tout au long du texte. Sans identifier nommément sacible, il s’en prend à ceux qui s’amusent à dorer la pilule avec une élégance de bas degamme. Et à engager des débats byzantins pendant cinq jours, soit du 18 au 22février 2013, autour d’un mot créole.
Ilm’a été très facile d’identifier ceux qu’il accuse de s’adonner à“l’encanaillement de la jeunesse”. Moi aussi, j’avais été particulièrementchoqué d’entendre Daly Valet et Valéry Numa, deux directeurs d’opinions quej’écoute régulièrement avec plaisir, s’éterniser sur un sujet d’actualitépendant toute la semaine sans un minimum de connaissances acceptable dans ledomaine. Jamais je n’avais entendu autant d’opinions sans fondements sur laquestion linguistique d’Haïti dans un si court laps de temps. Dally Valet etValéry Numa m’ont profondément étonné par leurs opinions très légèresprésentées comme des “analyses”. Ils ont même trouvé des auditeurs assezcrédules pour les féliciter à Vision 2000 à l’Écoute durant la semaine enquestion. Un auditeur avisé leur a attiré l’attention sur leur méconnaissancedu domaine. M. Valet a rétorqué qu’il s’agissait là du “provincialismeméthodologique” dénoncé par Raymond Aron. Je résume comme suit les propos de M.Valet émis le vendredi 22 février 2013, pour synthétiser sa position: Le créolea une pauvreté lexicale observable dans le fait qu’une version créole esttoujours plus longue que l’originale. C’est une langue explicative. LesHaïtiens parlent déjà le créole. Les défenseurs du créole sont des hypocritesqui parlent le franais, produisentuniquement en franais, envoient leursenfants étudier à l’étranger mais refusent au peuple l’accès au franais. Il fautdémocratiser le franais pour que tout lemonde y ait accès. Dans la nouvelle Haïti, il n’y aura pas de place pour cettehypocrisie.
Permanence de l’arrogance traditionnelle d’une certaine intelligentsia haïtienne
Venons-en à l’article de Leslie Péan. J’ai étéfrappé par l’attitude hautaine d’un intellectuel avisé, qui se croit l’apôtrede la vérité (le terme revient constamment), parle des “Haïtiens” comme s’iln’en était pas un, oppose l’approche scientifique – la sienne – à celle desnéophytes, dans une approche très manichéenne. Il dit textuellement: « Lacritique doit être totale, avec irrespect, s’il le faut pour enlever toutepossibilité de confort trompeur à ceux qui vivent leur mal dans la complicité.»(3) Ailleurs, il reprend la même idée avec le terme “irrévérence”.
L’articlede M. Péan m’a rappelé l’intervention agressive du Dr Sauveur Pierre-Étienne,qui, commentant sur une station de radio à Port-au-Prince le Plan de sauvetagenational à la rédaction duquel il avait participé après le tremblement de terredu 12 janvier 2010, a traité les autorités d’alors de “bande de crétins”. Unautre intellectuel haïtien de la même catégorie m’est venu aussi à l’esprit,l’éminent professeur Lesly Manigat, vénéré par une bonne partie des élitesintellectuelles haïtiennes, mais qui a raté l’opportunité d’influencer lasociété en raison, entre autres causes, de son complexe de supériorité, de sonmépris des moins doués. Et je me suis rappelé aussi cette phrase de John C.Maxwell: “Les gens ne vous suivent pas pour les bonnes causes que vousdéfendez, mais pour la bonne personne que vous êtes.” Il faut donc à nosintellectuels prétentieux et volontairement irrévérencieux cette éducation audialogue humble et constructif, au refus du radicalisme desséchant parce queaveugle et aveuglant. Cette morgue, ce mépris de l’autre, très enracinés dansle comportement de l’intelligentsia haïtienne, renforcés chez ceux ayantfréquenté l’Occident, qui nous a privés de la possibilité de transformer notresavoir académique en outil de transformation du réel. C’est bien dommage! Car,la tolérance, dans les limites de l’acceptable, le respect de l’autre, sont desvaleurs démocratiques consacrées par la modernité. Et Péan tombe dans les mêmestravers qu’il condamne: “L’assertion qui déclare la science arrogante estfausse. C’est l’ignorance qui est arrogante…” (Le Nouvelliste du 25, 26 mars,p. 26). Et il a raison: ses opinions hâtives, intempestives même, révèlent sonignorance arrogante dans le domaine en question. Personne n’est scientifiquedans tous les domaines. Nous sommes tous ignorants dans les domaines que nousne maîtrisons pas. L’attitude scientifique consiste à chercher à comprendred’abord, à utiliser les données scientifiques disponibles ensuite. Et à tairenotre passion quand nous doutons d’avoir compris. La scientificité, c’est unregard objectif posé sur le réel. Ce n’est pas en convoquant Galilée et PierreVernet qu’on convainc le lecteur avisé. C’est ce qui va être démontré dansl’analyse qui suit.
La question centrale : à quand l’éducation en créole en Haïti ?
Péan ne croit pas qu’on puisse faire de lavulgarisation du savoir en créole tant que l’État Haïtien n’aura pas lesressources financières pour traduire au moins 100 titres par année, avoirsuffisamment d’enseignants qualifiés pour enseigner le créole, etc. Il demeuresceptique sur l’existence d’assez de traducteurs valables. Cette nouvellesortie repose en effet sur les mêmes présupposés émis dans Refonder Haïti(Buteau, Saint-Éloi, Trouillot, 2010 : 230) :
“…la présence d’une académie créole doit être àl’ordre du jour pour parfaire le créole, ce ciment de l’unité nationale, en lenettoyant de ses scories à la suite des efforts de tous les devanciers, maissurtout d’un Pierre Vernet, doyen de la Faculté de linguistique à l’Universitéd’État d’Haïti, qui a péri dans le tremblement de terre du 12 janvier. On nesert pas la cause du créole en ne connaissant pas les codes et les instrumentsde cette langue.”
Dans la deuxième partie de l’article Retour sur“Économie d’une langue et langue d’une économie” (4), (l’auteurreprend un long extrait de l’article précité où il émet ses regrets surl’impréparation de l’intelligentsia haïtienne à servir son peuple en créole. Ily a donc chez Péan une conscience de ce qui devrait être.
Mais,sa méconnaissance de la linguistique le porte à reprendre les préjugéslinguistiques de Ronsard et Malherbe, de la Renaissance et du classicisme franais. Ronsardprétendait enrichir la langue franaiseen introduisant dans sa poésie des termes exclus jusque-là, tandis que Malherbes’est donné la tâche de la purifier, c’est-à-dire, inverser l’œuvre de Ronsard.La linguistique qui s’est développée à partir du début du 20èmesiècle a démontré que:
“(…)la langue représente une permanence au sein de la société qui change, uneconstance qui relie les activités toujours diversifiées. Elle est une identitéà travers les diversités individuelles. Et de là procède la double natureprofondément paradoxale de la langue, à la fois immanente à l’individu ettranscendante à la société. Cette dualité-là se trouve dans toutes lespropriétés du langage (Benveniste, 1974: 95).”
Tousles courants de linguistique moderne s’accordent sur le fait que la langueutilise un nombre fini de sons pertinents ou phonèmes pour générer un nombreinfini de mots, une poignée de règles pour générer un nombre infini de phrases.C’est ce qu’on appelle la double articulation du langage (Martinet, 1980 :13;Martin, 2004: 83). Il en ressort qu’on ne peut conclure à l’incapacité d’unelangue à vulgariser le savoir scientifique en se fondant sur la médiocrité decertains locuteurs non entraînés à produire des réflexions scientifiquesdans cette langue. Dejean (1997:15), dont un autre extrait est cité par Péandans l’article en discussion a dit aussi ce qui suit qui est très instructifqu’il aurait dû retenir aussi: “Un locuteur est clair ou obscur, vaporeux ouprécis, intelligible ou embrouillé, pittoresque ou monotone. Pas la languequ’il parle.» Dally Valet et Lesly Péan se rejoignent dans l’erreur sur ce quesont la langue et son pouvoir illimité, quelle qu’elle soit. Ce sont desjumeaux qui se nient.
Péans’acharne contre les discoureurs qui font la promotion du créole en ignorant larelation entre langue et économie: le créole n’a pas une portée internationale.
“Unepartie du courant qui soutient uniquement le créole au seul niveau du discours(aloral) refuse d’envisager les implications pratiques d’un tel choix qui exigeune révolution sociopolitique et économique. Telle est l’essence de notre texte« Économie d’une langue et la langue d’une économie». La création d’un bureauofficiel chargé de la traduction créole de tous les documents officiels del’État (comptes-rendus des réunions du Conseil des ministres et du Cabinet,résolutions du Parlement, procès-verbaux des tribunaux, etc.) exige unchangement dans la production et l’allocation des ressources. Une révolution.”
Lepenseur qui a débuté son article en menant la guerre contre l’arrogance del’ignorance en se rangeant du côté des scientifiques a malheureusement posé leproblème à l’envers. Dans quel pays au monde les élites produisent le savoirdans une langue étrangère pour le faire traduire ensuite dans la languematernelle de leurs populations? Nous sommes un peuple créolophone à 100% et francophone à 5 % à des degrés divers (Dejean 2006 : 180).Qu’est-ce qui explique que des scientifiques ayant le créole comme languematernelle sont incapables de produire leurs réflexions dans cette langue quiest écrite depuis avant l’indépendance en 1804, a un système d’orthographephonologique, un des plus rigoureux au monde en raison de sa régularité, saprédictibilité et sa facilité pédagogique, officialisé depuis le 31 janvier1980, des documents de vulgarisation, de formation, d’alphabétisation,d’information…? La raison en est la paresse, leur incapacité à apprendre àapprendre, leur conformisme, leur aliénation académique et culturelle. Concernantl’inexistence de documents imprimés en créole brandie par Péan, le plaidoyer enfaveur d’une académie créole et autres incohérences, je réfère à l’article“Èske yon akademi se yon kondisyon pou gen pwodiksyon syantifik nan yon lang”paru dans Ak Kòlòk Entènasyonal sou Akademi Kreyòl Ayisyen an…” (Zéphyr, 2011:109-133).
Lamajorité des étrangers qui n’ont pas les préjugés linguistiques et académiquesde cette élite aliénée, une fois arrivés en Haïti, séjournent quelquesmois en province, cherchent un manuel d’apprentissage du créole et se mettentau pas avec la réalité. Ils ne comprennent absolument pas notre attitude demarron cherchant à prouver à tout prix l’impossibilité d’utiliser le créole àtous les niveaux. Le vrai problème, c’est l’incapacité de cette élite às’inscrire dans la modernité, à se « recycler ». En 1996, à la find’une conférence que j’ai donnée en Israël sur le système éducatif haïtien etl’alphabétisation, la première question posée par un de mes collègues de l’Amériquelatine fut la suivante: “Comment un peuple peut-il accepter que ses fils soientéduqués chez lui dans une langue étrangère?” Les 30 représentants de l’Amériquehispanophone et lusophone n’y ont rien compris. Car, en plus de l’espagnol, leGuatemala, l’Équateur, le Paraguay… par exemple, éduquent leursindigènes dans leurs langues locales.
Laquestion du coût de la traduction évoquée par Péan pour pourfendre ceux quisoutiennent qu’il faut respecter les droits linguistiques du peuple haïtien hicet nunc est un mauvais prétexte pour deux raisons: Qui a dit que les outilsacadémiques dont un pays a besoin pour l’éducation de ses enfants, lefonctionnement de son administration publique, doivent être importés et/outraduits? De quels pays la France, l’Angleterre, les États Unis… ont-ilsimporté les matériels didactiques pour les traduire en anglais ou en franais avant de lancerleurs systèmes éducatifs? Tous les éducateurs, les psychologues, lesdidacticiens savent que l’éducation moderne repose fondamentalement sur lavalorisation de la langue maternelle, de la culture, du vécu de l’apprenantavant toute autre chose. La Déclaration universelle des droits linguistiques aété signée à Barcelone, en Espagne, par l’UNESCO, les PEN clubs et denombreuses personnalités de renommée scientifique, politique, des artistes,intellectuels et autres, dont Noam Chomsky, Nelson Mandela, Shimon Pérez, etc.,pour protéger les droits des citoyens du monde entier à avoir accès à tous lesservices dans leurs langues maternelles. Car, “(…) Les langues ne sont pas desproduits sur un marché compétitif où les chiffres d’affaires et la valeurdéterminent le maintien du produit dans les rayons d’un supermarché. (…)L’analyste averti ne doit pas oublier que les langues sont les supports de ladiversité socioculturelle; si bien que les marginaliser équivaudrait à reléguerà la périphéries des sociétés – et les sujets en font partie – qui méritent lemême respect que d’autres considérées plus prestigieuses.” (DelgadoGuante, 2007 : 203)
Les outils didactiques sont le résultat du travail de professionnels de l’éducationqui, en plus de maîtriser leur métier, se sont spécialisés dans la productiondes instruments de travail. Un état qui valorise l’éducation ne peut attendreque de tels instruments viennent à l’existence miraculeusement, au gré duhasard. Et, chez nous, un nombre important d’éducateurs et d’institutions ontdéjà donné le ton. Quant à la diffusion du savoir, le créole est devenu pendantles trois dernières années la première langue de traduction en Haïti sousl’influence des ONGs qui œuvrent dans les domaines de la santé, laconstruction, la vulgarisation, l’évangélisation, le secours post-désastre…
Ets’il fallait tout traduire, le problème ne serait pas économique: l’État haïtienimportait annuellement, avant l’arrivée du président Martelly au pouvoir,20.000.000 de dollars américains de voitures, mais a attendu le tremblement deterre pour que la République Dominicaine nous offre le premier campusuniversitaire qui a coûté 30.000.000 de dollars selon certains, 50.000.000selon d’autres. Péan lui-même a signalé le gaspillage des fonds alloués auprogramme de scolarisation universelle gratuite et obligatoire (PSUGO) enraison de la corruption qui paralyse tout le système. Qu’est ce qui empêchel’État haïtien d’allouer ces fonds à la résolution des problèmes réels denotre système d’éducation en vue d’atteindre les résultats poursuivis par laconception de départ du programme ?
Ilne suffit pas de soutenir que le créole n’est pas l’outil immédiatementefficace pour la diffusion du savoir. Il faut prouver par quels miracles etcombien de siècles cela prendra pour qu’Haïti qui utilise le franais comme langued’enseignement–apprentissage depuis plus de deux cents ans et n’a que 5 % de sapopulation qui la parlent à des degrés divers arrive à l’enseigner à toute sapopulation pour ensuite en faire la principale langue de diffusion dusavoir.
L’autre“argument” de M. Péan est qu’il n’ y a pas assez d’enseignants formés pourenseigner le créole. Est-ce qu’il sous-entend qu’il y a assezd’enseignants entraînés pour enseigner le franais? Sait-il que lamajorité des maîtres de l’école fondamentale en Haïti ne parlent pas le franais? Sait-il que lamajorité des étudiants finissant à l’université ne parlent pas le franais en Haïti?
Enfin,se pose la vraie question: Depuis quand une langue étrangère s’est révélée plusefficace que la langue maternelle dans une communauté linguistique donnée? Cetaspect négligé par M. Péan au profit de son approche économique “économiciste”mécanique dont il se défend est la meilleure arme contre sa prétentionscientifique. Quiconque s’est donné la peine de lire la littérature sur ladidactique et la pédagogie sait que la langue maternelle est l’instrumentprivilégié en matière d’enseignement-apprentissage, d’expression personnelle”(CONFEMEN, 1990). Il ne s’agit pas de “culturalisme” tel qu’il lequalifie, mais d’approches théoriques validées par les données empiriques.La/les langue(s) maternelle(s) est/sont celle(s) acquise (s) entre 0 et 7ans, inconsciemment, dans sa communauté linguistique, celle(s) la/les plusintimement liée(s) à l’expérience psycho-socioculturelle qu’aucune autre langueapprise ne saurait égaler chez le locuteur.
La proposition de Péan : maintenir le statu quo
L’essentielde la position de Péan se résume dans l’extrait suivant : « En Haïti, lesconditions matérielles d’épanouissement de réseaux savants créolophones n’étantpas réunies ni près de l’être, nous appuyons la pratique actuelle dubilinguisme actif créole/français. Pour aller plus loin, il faut trouver lesmoyens adéquats. Conscient des limites de l’économie haïtienne, nous avonssonné l’alarme face au courant du «tout en créole» qui contourne inconsciemmentla diffusion du savoir. Il est indispensable de prendre une autre route pour nepas déboucher sur un vide aux effets délétères, comme c’est le cas en politiqueaujourd’hui.»
Appuyerle bilinguisme actif créole-franaisactuel, c’est renforcer le statu quo, c’est nier à des milliers d’enfants ledroit d’être éduqués dans leur unique langue maternelle en échange d’une faussevérité. L’éducation bilingue n’existe pas en Haïti. Si elle existait, lesmatériels didactiques auraient été disponibles dans les deux langues. Lesenseignants auraient été entraînés à cet effet. Or, le curriculumappliqué actuellement, exception faite de celui du nouveau secondaire, est conu totalement en franais, suggère desstratégies d’enseignement des autres matières à partir d’outils existantuniquement en franais. De plus,l’éducation bilingue qui poursuit entre autres finalités la maîtrise d’unedeuxième langue, part du postulat que cette deuxième langue est un objectifd’apprentissage, et donc, ne peut être le principal outild’enseignement-apprentissage tout au long du cursus. Elle est beaucoup pluschère que l’éducation monolingue. La proposition de Péan, si elle en était une,exigerait beaucoup plus de ressources humaines, financières et matérielles quele “tout en créole” qu’il combat.
Tellequ’énoncée, la prétendue proposition de Péan rejoint le conservatismelinguistique traditionnel des lettrés haïtiens dont Dally Valet a fait soncheval de bataille à Vision 2000 à l’écoute du 18 au 22 janvier 2013. L’“encanaillement de la jeunesse” dénoncé par Péan ne lui a inspiré qu’unedissertation fleuve, une sorte de tempête dans un verre d’eau.
Jereprends donc, en guise de proposition, les cinq recommandations concluant macommunication “Èske yon akademi se yon kondisyon pou gen pwodiksyon syantifiknan yon lang?” au Colloque international sur l’académie créole, organiséeà Port-au-Prince en 2011, déjà citée, avec certains éléments d’éclaircissement.
1)Renforcer la faculté de Linguistique appliquée. Pour y pourvenir, employer desenseignants compétents, former ceux qui sont en poste dans les différentsdomaines de la linguistique moderne, préparer un curriculum intégré et créer uninstitut de recherche sur le créole haïtien (IRECHA) dont la mission serait demener et de vulgariser les recherches sur les divers domaines du créole dansses rapports avec la société, la culture, le système éducatifhaitïens…L’ensemble de ces initiatives faciliterait la production de tout typede documents en créole et élèverait le niveau de savoir technique,professionnel et scientifique de la société.
2)Renforcer le bureau de la langue créole de la SEA après évaluation descompétences de ses employés, de sa mission, de ses objectifs, pour qu’ilremplisse sa mission de formation des fonctionnaires de l’ état en languecréole, dans les domaines de l’ élaboration et de la traduction de documentsadministratifs, de la promotion de la langue créole en vue de valorisernotre langue maternelle et de garantir les droits linguistiques et culturels detous les Haïtiens.
3)Soutenir les initiatives de recherches d’ individus ou d’ institutions ayantfait la preuve de leur capacité à produire des outils scientifiques de qualitéen créole, en mettant des techniciens à leur disposition, en finançant leursactivités de recherche et leur publication, pour faciliter l’accès à laconnaissance scientifique dans les domaines prioritaires pour le développementde la société haïtienne tels l’éducation, la santé, l’agriculture etl’environnement, les droits humains, la responsabilité citoyenne…
4)Organiser des débats avec la participation de spécialistes qualifiés etcompétents pour aider le public à mieux cerner la problématique du créoleen vue de réduire les préjugés contre le créole.
5)Planifier l’ utilisation du créole comme langue d’ enseignement et d’apprentissage, graduellement, à tous les niveaux du système éducatifhaïtien pour réduire le taux de désertion et d’échec scolaire, afin que tousles citoyens haïtiens aient le niveau de connaissance de base indispensable àleur participation éclairée au développement de la nation, et que les plusdoués puissent exceller dans les domaines de leur intérêt. Cet axe devraitaccorder une importance particulière à l’enseignement efficace dufrançais langue étrangère, sans oublier l’espagnol et l’anglais, pour préparerles citoyens haïtiens à la compétition de plus en plus agressive dans ce mondeglobalisé et enlever tout prétexte à ceux qui voient dans la promotion ducréole un enfermement linguistique.
Cettevoie n’est pas l’unique option. Elle exige beaucoup plus d’efforts qu’unesimple formalité de création d’ une académie créole. Elle peut cependant nousaider à initier un changement positif durable pour la société.
Ilne s’agit pas de décréter l’utilisation du créole comme unique langued’enseignement ou d’administration publique et privée sans la mise enplace des conditions requises, mais d’établir un plan réaliste et de s’yatteler résolument, en tenant compte des spécificités historiques, culturelleset pratiques de notre société. Au lieu de se lancer à la chasse des autreslangues présentes sur notre territoire, il faudra se donner les moyensd’améliorer leur enseignement-apprentissage en reconnaissantobjectivement leur vraie place dans la vie sociale. Et leur utilité dansnotre monde de plus en plus globalisé.
Notes
Leslie Péan, LeNouvelliste du 25 et 26 mars 2013, p. 27,29, 30; No. 38953; et du 27 mars, no.38954, p. 26, 27 et 31.
Le Nouvelliste du 25 et 26 mars 2013, p.31; celui du 27 mars, p.27.
Le Nouvelliste,27 mars 2013,p. 26.
4 Le Nouvelliste, 27 mars 2013, p. 26, 27 et 31.
5 Leslie Péan, Le Nouvelliste du 27 mars 2013, p. 31
Bibliographie
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ZÉPHYR, Lemète. 2013. Èske yon akademi se yon kondisyon pou gen pwodiksyon syantifik nan yon lang ? Nan: GOVAIN, Renauld (dir). Akademi Kreyòl Ayisyen : Ki pwoblèm? Ki avantaj? Ki defi? Ak Kòlòk entènasyonal sou Akademi kreyòl ayisyen an 26-29 oktòb 2011. Port-au-Prince : Éditions de l’ Université d’État d’Haïti.