Lapolyphonie dans le roman haïtien contemporain :
regardscroisés, dédoublés, occultés
Yolaine Parisot
Docteure en littératurecomparée, Université Paris 4 Sorbonne
Professeure, Université Paris-Est-Créteil
Étude parue dans la Revue de l’Université de MonctonTraversées de l’écriture dansle roman francophonevolume 37,numéro 1, 2006). Elle est reproduite en juillet2017 avec l’aimable autorisation de l’auteure et decette revue.
Plan de l’article
Résumé
Introduction
1. Du référentiel occulte/é au choix de lapolyphonie narrative
2. La polyphonie, comme poétique d’un sujetlittéraire schizophrène
3. Polyphonie, intertextualité et histoirelittéraire
Conclusion
Notes
Bibliographie
Résumé
Confrontés au vécu dictatorial, les romanciershaïtiens ont progressivement substitué aux constructions de l’Indigénisme et duréalisme social de Jacques Roumain et de Jacques Stephen Alexis, une narrationprofondément liée à l’écriture de l’occulte et au sentiment schizophrénique quifrappe le sujet littéraire haïtien. La notion bakhtinienne de« polyphonie » est désormais fréquemment appliquée à des romans dontla structure entrecroise plusieurs narrations à la première personne. Laquestion du point de vue se pose tant au sens perceptif qu’au sensargumentatif. De fait, le dialogisme renvoie aussi à l’inscription du discoursde l’autre dans son propre discours. Dans l’intertextualité des citations etdes topoï indigénistes, les figures du zombie et du double marassa permettentd’opposer une polyphonie véritablement subversive, qui dialogise les règles dela mimésis, à une polyphonie prétexte, facilement réductible à un discoursunivoque.
Mots clés : roman haïtien, polyphonie,Bakhtine, perception, intertextualité.
Portés par le souffle épique de l’Indigénisme, leréalisme social et le réalisme merveilleux de Jacques Roumain et de JacquesStephen Alexis, pères fondateurs de la modernité littéraire haïtienne, avaientprivilégié le pays comme objet – ce dont rend compte, dans leurs œuvres, laconstruction d’une iconographie patrimoniale – et l’enchantement commepréfiguration. Le cours pris par l’histoire d’Haïti dans la seconde moitié duvingtième siècle et les conséquences du vécu dictatorial amenèrent le romancierà s’intéresser davantage au sujet et à sa place problématique dans l’espacevisible. Depuis les années soixante-dix, le roman haïtien propose une narrationinnovante qui, du réalisme magique de René Depestre au spiralisme[i]de Frankétienne, de Jean-Claude Fignolé et de René Philoctète, del’hybridité générique et poétique d’Émile Ollivier à l’écrituredémystificatrice de Lyonel Trouillot, tient à la fois de la tradition orale etdu contexte de la post modernité.
Désormais, le récit haïtien se plaît – parfois, secomplaît – notamment à multiplier et à entremêler les voix narratives, au pointque, comme dans nombre d’autres champs des littératures francophones, le termede « polyphonie » s’est imposé au critique. C’est pourquoi, face aurisque d’un usage galvaudé et dans la perspective d’une contribution àl’épistémologie de la francophonie littéraire, il nous semble nécessaire derevenir au modèle élaboré par Mikhaïl Bakhtine dans Esthétique et théorie duroman, à partir de l’œuvre de Dostoïevski.La « polyphonie » narrative, telle que la définit Bakhtine, renvoie àl’existence, au sein de l’espace romanesque, d’une pluralité de voix et deconsciences distinctes de l’intention auctoriale. Le dialogue entre le discoursde l’auteur et des narrateurs – « narration directe, littéraire, dans sesvariantes multiformes » et « stylisation des différentes formes de lanarration orale traditionnelle, ou récit direct» (Bakhtine, 1987, 88) –, lesparoles des personnages, « stylistiquement individualisé[e]s » (Idem),et les genres intercalaires – lettres, journaux intimes, digressions savantes,etc. – s’inscrivent dans le cadre linguistique et discursif du« dialogisme » : nous héritons des mots d’autrui et nos énoncésprennent nécessairement le point de vue d’autrui en considération. De ce« dialogisme » doit émerger « la position socio idéologique différenciéede l’auteur au sein du plurilinguisme de son époque » (ibid.,121), selon l’idée qu’un énoncé ne prend sens que « sur le fond d’autresénoncés concrets sur le même thème, d’autres opinions, points de vue etappréciations en langages divers» (ibid., 104).
Or, dans les romans haïtiens que nous nousproposons d’étudier dans le cadre de cet article[iii],les effets de brouillage, les décrochages et les interventions d’une énonciationhistorique dans des narrations à la première personne créent un phénomène de« dialogisation intérieure » quiconcerne tant la rencontre avec la parole d’autrui – autre énonciateur du romanou doxa extérieure à l’espace diégétique – que la construction de l’énoncé surle « fond aperceptif » del’interlocuteur.
Souvent qualifié de « social » dans lamesure où il fait référence à la stratification du langage en genres, selon lesusages sociaux et professionnels, le plurilinguisme bakhtinien introduit dansle roman une multiplicité de visions sur le monde :
Pareils à des miroirs braquésréciproquement, chacun des langages du plurilinguisme reflète à sa manière uneparcelle, un petit coin du monde, et contraint à deviner et à capter au-delà desreflets mutuels, un monde plus vaste, à plans et perspectives plus divers quecela n’avait été possible pour un langage unique, un seul miroir (ibid.,226) …
En ce qui concerne le champ romanesque haïtien,nous souhaiterions revenir à la notion polysémique de « point devue » – discours argumentatif et situation perceptive – et montrer que lechoix de la polyphonie narrative procède de la confrontation de la mimésisavec « l’être au monde » problématique du sujet littéraire haïtien.Cette confrontation présente trois dimensions – référentielle, ontologique etspéculaire – qu’illustrent trois figures de l’imaginaire national : lezombie, l’exilé et le double marassa. Tel est le fondement de notreétude qui vise à mettre en évidence, par une traversée du roman haïtien,l’interaction possible entre un corpus francophone donné et les différentesthéories de la polyphonie : le « plurilinguisme » et le« dialogisme » bakhtiniens, mais également la conception lacaniennedu sujet être de langage et l’intertextualité définie par Julia Kristeva àpartir des paradigmes de Mikhaïl Bakhtine.
Dans un premier temps, il s’agira d’ancrer lapolyphonie narrative du roman haïtien contemporain dans l’écriture del’occulte, cette fameuse « parole de nuit », pour reprendre l’expressionde Patrick Chamoiseau et de Raphaël Confiant (1994), qui renvoie aussi bien àl’imaginaire des contes et du vaudou qu’au champ du politique. Dans un deuxièmetemps, nous envisagerons le plan ontologique et la manière dont lesmystifications propres au réel dictatorial engendrent chez le sujet haïtien unsentiment de schizophrénie, dont la littérature rend compte en mettant enexergue l’hétérogénéité du langage : la métaphore de la schizophréniedésigne en effet, nous le verrons, tant « l’être au monde » du sujetque la position de l’écrivain confronté à la part d’altérité intrinsèque à sondiscours. Enfin, dans la troisième partie, il apparaîtra que, sur le planesthétique, la polyphonie prend la forme de l’intertextualité, puisque ladimension spéculaire des narrations à plusieurs voix souligne non seulement ladéconstruction des clichés sociaux mais surtout la réécriture des topoïlittéraires, dès lors que la réalité sociopolitique rend caduque la« Belle Amour humaine » rêvée par Jacques Stephen Alexis (1971).
Duréférentiel occulte/é au choix de la polyphonie narrative
Obscurité d’où surgit la parole du conteur, écrande projection ou négatif de la page blanche, territoire vaudou, la nuitconstitue, dans la littérature haïtienne, un motif bien plus important que lerayonnement solaire, et ce depuis le prologue de Compère Général Soleilde Jacques Stephen Alexis (1955). De la fuite du « nègre bleu à forced’être ombre» (ibid., 7) dans le « jus ultra-marin » (Idem)de la « nuit vorace » (ibid., 13) aux « Vêpresdominicaines »,en passant par les escamotages des nuits de pleine lune oud’« extermination[vii] », lemotif nocturne renvoie à l’ambiguïté du référent en même temps qu’ilthéâtralise la parole qui la désigne.
Il est en effet symptomatique que tous ces récits,qui cherchent à dire ce qui relève de l’implicite et du tabou – le surnaturelde la zombification ou l’horreur des exactions politiques –, renouent avec latradition orale des lodyans[viii].Dans Les possédés de la pleine lune de Jean-Claude Fignolé, la veillée,qui réunit une conteuse et ses petites-filles, constitue, passé le « Cric! Crac ! » inaugural, un texte en filigrane que le lecteur repère grâce àl’occurrence « grand-mère », en tête de paragraphe, mais sans majuscule,et sur lequel viennent se greffer les monologues intérieurs et autres discourstenus par les acteurs du drame : le pêcheur Agénor, dont la destinée seconfond avec celle d’un mystérieux poisson de rivière, appelé savale,son rival Louiortesse et sa femme Saintmilia. Dans la fantasmagorie d’unvillage soumis à l’oppression de la Bête à sept têtes, allégorie de tous lescataclysmes climatiques et politiques, la narration ignore la chronologie, mêlesuperstitions, légendes et allusions à la dictature. « Voilà. Monsieur, celacommença par un grand coup de vent », annonce le prologue de Rue despas perdus de Lyonel Trouillot (1998, 13). Si la formule évoque tant larafale, qui, dans les contes traditionnels, transfère le conteur du lieu del’histoire au lieu de l’énonciation, que le « Vieux Vent Caraïbe », composede Romancero aux étoiles de Jacques Stephen Alexis (1960),le récit ainsi introduit renvoie au réel sociopolitique.
Il est de mise que le tireur de lodyansrevendique son « pouvoir voir » et son « savoir voir »(Hamon, 1993, 172-189) de témoin, d’autant plus lorsqu’il s’agit de narrer lazombification d’une jeune beauté blanche ou mulâtre. « Regardez-moi,vieille mangue oubliée au soleil, toute racornie. […] Les yeux sont pourtantbons ! […] Je vois très loin et avec une clarté qui étonne le voisinage. Jevois clair même au cœur de la nuit, une vraie chouette frisée, je vousdis », s’exclame la narratrice principale des Chemins de Loco – Miroir deLilas Desquiron (1992, 9). Dans Hadriana dans tous mes rêves de RenéDepestre, la première personne tente de concilier illusion romanesque etphénomènes extraordinaires. Jacmel, 1938, au cœur du carnaval, Hadrianas’effondre au pied de l’autel, le jour de ses noces. Tel est le récit dunarrateur principal, Patrick Altamont, admirateur transi de la belle Française.Quelques années plus tard, celle que toute une ville avait crue morteréapparaît : la « chronique » écrite par la jeune zombie vientalors combler a posteriori les lacunes de la première version. Maisdivers narrateurs secondaires sont également convoqués comme garants de lavéracité des faits. Souvenirs d’une cousine, échos de l’impression générale,les points de vue se multiplient, sans que l’on puisse déterminer s’il s’agitde rassembler les morceaux du puzzle ou de brouiller les cartes. Lorsque, parexemple, le récit principal achoppe sur la fuite inexpliquée du commandantArmantus devant le catafalque d’Hadriana, une prolepse évoque l’heureux hasardd’une rencontre à New York, quelque vingt ans plus tard, et insère dans lerécit encadrant la version du protagoniste devenu chauffeur de taxi. Car, dansun roman qui cultive l’irrationnel, rien ne doit rester dans l’ombre : on feintde tout élucider pour emporter l’adhésion du lecteur. Ainsi, par un procédé demise en abyme, les informations données par l’oncle de Patrick sur lesphénomènes relatifs aux zombies participent de cette même variation des pointsde vue et annoncent l’éclairage apporté par le récit d’Hadriana.
Mais la polyphonie affichée dans Hadriana danstous mes rêves ne vise qu’à conforter le narrateur principal dans saprééminence de témoin privilégié et doué d’ubiquité. Nous en voulons pourpreuve l’utilisation des genres intercalaires comme éléments objectivés. Lenarrateur cite trois articles de journaux. Imputés à un personnageintra-diégétique, les deux premiers ne valent que par leur faiblesse eu égardau témoignage autrement véridique de Patrick Altamont. L’un des deux présenteun cas intéressant d’intra-textualité, puisque son auteur y fait allusion à uneautre héroïne de René Depestre, Isabelle Ramonet, figure solaired’« Alléluia pour une femme-jardin » (1981). Appartenant à un mêmeunivers, le personnage narrateur du roman, Patrick Altamont, et celui de lanouvelle, Olivier Vermont, se cautionnent l’un l’autre, par l’entremise de cecollage, sous la vigilance de l’auteur dont ils sont tous deux des doubles.Quant au troisième article, la « Lettre de Jacmel » (Depestre, 1988,113) de Claude Kiejman, parue dans Le Monde en avril 1972, il justifiele désir d’écriture. Comme l’indique la mise en abyme d’« une interviewimaginaire au Jardin du Luxembourg » (ibid., 120), le narrateur se faitromancier pour raconter ce que l’article ne dit pas, ce que « des témoinsaussi bien placés que [lui] pour informer une journaliste sur les événements de1938 » (ibid., 118) n’ont pas dit. Enfin, entre les pages 125 et133, ce même narrateur s’essaie vainement à une réflexion théorique sur lephénomène de la zombification et sur la métaphore politique qu’il recouvre.S’il s’agit d’abord de donner une base scientifique au récit, le« plurilinguisme social », introduit dans l’espace romanesque par laréférence à l’ontologie vaudou et à la pharmacopée zombifère, ainsi qu’auxgenres du récit de voyage et de l’essai politique, fait la démonstration acontrario de l’efficacité poétique du réalisme magique que déploie lediscours du narrateur principal. Dans le roman de René Depestre, lahiérarchisation des instances narratives réduit donc les narrateurs secondairesau statut de faire-valoir du narrateur principal, lui-même double del’auteur : la polyphonie narrative et le « plurilinguismesocial », bien que nourris d’une culture du vu et du dit, se réduisentdonc à de simples prétextes énonciatifs et esthétiques.
De fait, le référentiel occulte – zombification etautres transformations – ou occulté – les mystifications du politique – obligeà complexifier le rapport entre situation énonciative et situation perceptivedu sujet littéraire. Parce que, pour évoquer la zombification, Lilas Desquironn’a pas fait, comme René Depestre, le choix d’un récit d’outre-tombe aposteriori, le passage de l’autre côté du miroir procède d’un point de vuedifficile à déterminer. L’histoire de l’amour impossible entre la mulâtresseViolaine et le Noir Alexandre fait l’objet d’une narration à quatre voix :aux discours des deux protagonistes s’ajoutent le récit de Cocotte, domestiqueet confidente de Violaine, et la version contradictoire de l’amoureux éconduit,Philippe Édouard. Mais aucun des quatre personnages narrateurs ne peut êtretémoin de la séquence dans laquelle ordre est donné au sorcier, au bòkò,d’engager le processus qui conduira à la zombification de la trop scandaleuseViolaine. Le passage crée donc, dans la structure polyphonique, un écart quivise à inscrire l’occulte dans le champ du visible. L’énonciation historiquereprend en effet ses droits, sans qu’il soit possible d’identifier unpersonnage focalisateur :
C’est le moment où la nuit semet lentement à basculer vers la lisière du jour. On le sent à cette lueurinsaisissable qui circule sous la peau des ténèbres. Les yeux grands [sic] ouverts,[Tante Tika] fixe le vide devant elle, la vieille chouette. Elle attend.
La nuit icin’est jamais en repos, la nuit jérémienne n’est que stridulations,chuintements, tintements, nuit de mica peuplée de la vie frémissante des bêtes,du frôlement d’ailes mystérieuses, vrombissantes, de souffles rauques, on neveut pas savoir ce que c’est !
Dans uncoin de la terrasse, on devine une forme roulée en boule sur une natte(Desquiron, 1992, 161).
Le personnage mentionné ne peut être le foyerperceptif d’un tableau dont il fait partie. Si la première occurrence du pronomindéfini renvoie à une vérité générale, la troisième est problématique. À encroire les marqueurs spatiaux, elle désigne le point de vue d’un narrateurintérieur à l’histoire, mais non identifié, et permet de montrer au lecteur unescène dont aucun des quatre narrateurs personnages n’a eu connaissance. Ils’agit de ce que François Jost (1987, 113) a nommé « focalisationspectatorielle » au cinéma et, par analogie, « focalisationlectorielle » en littérature qu’il faut distinguer de l’absence de pointde vue perceptif.
Il nous semble que la spirale propose une variantescripturale, voire graphique, intéressante de cette indétermination. C’est parl’humour que Jean-Claude Fignolé révèle le potentiel dialogique des lodyans.L’auteur des Possédés de la pleine lune se moque de l’illusionréférentielle dans une narration où la première personne alterne avec latroisième personne sans procédés démarcatifs. Il détruit toute distinctionentre la perception directe et le souvenir ou les fantasmes, entre le réel etsa représentation littéraire, et donne au personnage le pouvoir d’inventer leréel en le nommant et au lecteur, celui de reconstituer librement la tramenarrative. Dans un village où un poisson de rivière peut devenir le double d’unpêcheur borgne, où l’on recherche vainement le corps manquant d’un dénomméRaoul, où une arrestation politique devient une illusion d’optique, lestémoignages oculaires, qui convoquent les superstitions et l’allégorie, secontredisent sans qu’il faille y attacher une quelconque importance. Dans cetteperspective, que les faits décrits soient attribués à la pleine lune, auxvapeurs d’alcool, au génie dramaturgique d’Agénor ou à la folie vengeresse deLouiortesse, c’est l’effet de distanciation créé par la structure spiralistequi est souligné. La narration repose sur le principe de la répétition, avecvariations, de différentes scènes que le regard du lecteur abandonne etretrouve, semble-t-il, de façon aléatoire.
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NOTES
Née en 1964, cette esthétique du chaosentend revenir aux techniques du conte oral pour briser la linéarité du récit.Inspirée par les données de la physique moderne, la figure de la spiralevisualise le mouvement du monde et celui de l’écriture qui cherche à lereprésenter.
Sur la question du recours à desparadigmes critiques forgés sur des corpus européens, on pourra se reporter àMichel Beniamino, (1999, p. 214) qui conclut que « les étudesfrancophones présentent l’intérêt, fondamental, de modifier le corpus surlequel sont fondés un certain nombre de concepts et d’en questionner ainsil’épistémologie », .
[iii] Frankétienne (2000),Jean-ClaudeFignolé (1987), René Depestre (1988), René Philoctète (1989), Émile Ollivier(1994, 1999), Lilas Desquiron (1992),Lyonel Trouillot (1998, 2000), Jan J. Dominique (2004).
Par l’expression « dialogisationintérieure », Mikhaïl Bakhtine (1987, 105entend, d’une part, « larencontre avec la parole d’autrui dans l’objet même », d’autre part, laprise en compte par le locuteur de « la perspective étrangère de soninterlocuteur »).
Mikhaïl Bakhtine (1987, 104) expliqueainsi la prise en compte du « fond aperceptif » del’interlocuteur : « Et tout énoncé s’oriente sur ce fond, qui n’estpas linguistique, mais objectal et expressif. C’est alors une nouvellerencontre de l’énoncé et de la parole d’autrui, qui exerce une influenceneuve et spécifique de son style » .
L’expression renvoie au massacre destravailleurs haïtiens perpétré en 1937 dans la République Dominicaine dudictateur Trujillo. Le thème a été traité notamment par Jacques Stephen Alexis(1955), par René Philoctète (1989), ainsi que par la romancière anglophoneEdwidge Danticat (1995),.
[vii] Lyonel Trouillot (2000) parle de« nuit de l’extermination » ou de « l’Abomination » pourdésigner le grand bouleversement de 1986.
[viii] De Justin Lhérisson à Gary Victor, le genre des lodyans renvoie àla tradition haïtienne qui consiste à se réunir pour commenter les dernièresnouvelles ou échanger des propos plaisants, notamment lors des veilléesfunèbres. Relevant à la fois du récit et du théâtre, cette transcriptionlittéraire d’une forme orale rend compte, par le dialogue, de la diversitélinguistique propre à Haïti. Elle ne doit pas être confondue avec le conte traditionnel :les personnages dont elle narre les aventures sont prétendus réels et le rirequ’elle peut susciter révèle sa dimension subversive.
Dans le recueil de contes et de nouvellesde Jacques Stephen Alexis, Romancero aux étoiles, le « Vieux VentCaraïbe » est l’une des deux instances d’énonciation. Chanteur, conteur etpoète, il est le gardien des traditions.
Les liens que tisse le roman haïtiencontemporain avec le cinéma constituent un aspect non négligeable durenouvellement de la mimésis.