Cinéma/Poésie
Un film comme cadeau àRené Depestre pour ses 90 ans
Par Gotson Pierre
AlterPresse,Port-au-Prince, le 19 août 2016
Desévènements dans la vie de l’éminent écrivain haïtien, RenéDepestre, il n’en manque pas. Il y en a un qui surement le toucheraparticulièrement, c’est la sortie cet été du film documentaire « On nerate pas une vie éternelle», du cinéaste haïtien ArnoldAntonin.
Cedocumentaire, présenté en avant-première le 19 août à Jacmel (Sud-Est), villenatale de Depestre, dévoile au grand public les méandres de la vie du grandpoète et romancier, racontés par l’auteur lui-même, dont le 29 août marque le90e anniversaire.
ArnoldAntonin, son ami de longue date, est allé le rencontrer, à Lézignan-Corbières(dans le sud de la France) où il vit depuis 30 ans, et a remonté le fil de sonœuvre pour rendre un film touchant, qui retient le spectateur en haleine durant140 minutes.
C’estun vrai hommage au poète et à sa poésie, mais il n’y a rien de « dithyrambique »ou d’ « excessif », dans ce film, se défend Antonin. Il confie àAlterPresse son « affection » et son « admiration mesurée »pour René Depestre.
Deliaisons en ruptures
DeJacmel vers le monde entier, Depestre nous conduit vers sa terre natale où il acherché la beauté dans la fraicheur de la mer. Il évoque avec sensibilité samère « arc-en-ciel ». Une vie « volée » par une machine àcoudre Singer et qui renait sous nos yeux, dans une simulation réussie.
L’homme,qui aujourd’hui écrit debout, a été élevé par sa grand-mère. Il raconte commentil a été très tôt choqué par l’injustice, alors qu’il faisait la connaissancede personnages qui allaient devenir des icônes du 20e siècle. Rencontre en 1942du poète cubain Nicolas Guillen, puis, en 1943, de l’écrivain haïtien JacquesRoumain et, en 1944, du poète martiniquais Aimé Césaire.
« Jen’ai imité personne », assure-t-il, dans cette conversation avec ArnoldAntonin, qui relève le succès remporté par son premier recueil« Étincelles ». Ce livre sort en 1945 et fait l’ « effet d’unebombe ».
C’estune voix alerte et pleine de passion qui nous ramène aux années 40 enHaïti : une aristocratie pesante, la révolte des jeunes de janvier 46 dontil fut un des leaders. 1968 avant la lettre ! « On était un pouvoir occultejuvénile », dit-il.
Lesforces traditionnelles reprennent la main. C’est la prison et l’exil. Depestrese retrouve « leader étudiant » en 1950 à Paris et est expulsé de laFrance. « Tout s’effondrait du jour au lendemain », se souvient-ilavec chagrin.
EnTchécoslovaquie où il trouve asile grâce à son ami poète français Paul Eluard,il rencontre l’écrivain chilien Pablo Neruda. Depestre découvre aussil’« abime » qui existe entre les connaissances du marxisme et laréalité de la démocratie populaire. Il est mis à la porte. « Ca m’aprofondément choqué », lâche-t-il.
Brefretour en Haïti. Duvalier lui expose « un programme anti haïtien, unprogramme de dictateur ». « Il me fait une mauvaise impression d’unesprit confus », tranche Depestre avec dédain. Il refuse un poste offertpar celui qui ne tardera pas à devenir un tyran et est mis en résidencesurveillée.
Bientôtviendra l’épisode cubain. 1959, il se rend compte de la portée de la révolutioncubaine et publie dans le quotidien Le Nouvelliste un article qui est remarquépar le comandant en chef Fidel Castro. Il débarque dans l’Île où il est invitépar Nicolas Guillen. La liaison dure une vingtaine d’années.
Ilparticipe à la création de la grande maison d’édition Casa las Americas etécrit un poème en l’honneur du guerillero argentin Che Guevara, commandant enchef des forces révolutionnaires cubaines. « Tant qu’il y aura un homme humilié ».
Mais,il prend la défense du poète cubain Heberto Padilla, jeté en prison par lerégime et obligé de faire son « auto-critique ».« Inacceptable… Le poète se traine dans la boue », dénonceDepestre.
Surce chapitre, Antonin donne la parole à quelques témoins de l’époque, leshistoriens Michel Hector et Suzy Castor. Il y avait « beaucoup dequestionnements » autour de ce qui se passait à Cuba au cours de cettepériode appelée « quinquennat gris », indique l’historienne.
« Vivela révolution, ce n’est pas toujours un cri de justice », commenteDepestre plus d’une trentaine d’années après être parti de Cuba.
Deliaisons en ruptures, Depestre se définit aujourd’hui comme un « électronlibre ». « J’aurais du être toujours un électron libre ».
Sonport d’attache : l’écriture. Il l’aborde en « artisan ».« On est perpétuellement dans l’inachèvement », soutient le poète aumoment où il « arrive dans la grande vieillesse avec le plus de grâcepossible ».
Entreadmiration et critique
Lepersonnage que nous campe Arnold Antonin est une « figure mythique deslettres, de la lutte politique et de la révolution », qui ne ratera certainementpas « une vie éternelle ».
« Il a conservé toute sa lucidité, toute son éloquence,ainsi que tout son talent de conteur », applaudit Antonin.
Depestrea reçu de nombreux prix, parmi lesquels le Renaudot pour son roman« Hadriana dans tous mes rêves », en 1988, le prix GuillaumeApollinaire de poésie, pour « Anthologie personnelle », en 1993, etle Grand Prix de Poésie de l’Académie Française, pour l’ensemble de son œuvre,en 1998.
Sil’unanimité tend à se faire sur la qualité de son écriture, des reprochesciblent cependant le coté apparemment « pornographique » d’une partiede son œuvre.
Ledocumentaire d’Antonin est l’occasion pour l’écrivain de balayer cescritiques : « Quand j’entends parler de pornographie, je tire monrevolver », ironise-t-il, les yeux toujours pétillants.
Quantà la politique, le cinéaste estime que son interlocuteur a été « fougueuxdans ses adhésions comme dans ses ruptures… Il est comme ça et il l’assume.Très souvent il a été bien en avance sur d’autres qui ont rompu après ! Ilavait une vision claire ».
En plus d’être un hommage à Depestre, ce « voyage »dans les poèmes et la vie de l’auteur a aussi un but didactique. Le film doitaider les jeunes haïtiens à « affronter » ce grand écrivain, dontl’histoire est un peu celle de toute la première moitié du 20e siècle.
Source : AlterPresse