« Radio Haïti inter, le droit à laparole »
Revisiter la production cinématographique
de dénonciation de la dictature duvaliériste
Par Chenald Augustin
AlterPresse, Port-au-Prince,21 aout 2013
Dans le cadre de son ciné-club, le centre culturel Anne Marie Morisset aprésenté, le lundi 19 août, le documentaire, «Radio Haïti inter, le droit à la parole », du réalisateurhaïtien Arnold Antonin. Cette projection a été suivie d’un débat animé par lepoète et homme de gauche Guy Gérald Ménard. Ce film, réalisé il y a déjà 31ans, raconte à la fois une page d’histoire d’une journée macabre, le 28novembre 1980, et celle du célèbre journal de 21 heures d’Haïti Inter.
La projection du film a donné lieu à un débat sur la genèse de ladictature héréditaire de Duvalier, sur la répression sauvage et la corruptiongénéralisée qui l’ont caractérisée. Guy Ménard nous rappelle certains crimesspectaculaires commis par les hommes de main de Papa Doc : « Audébut, des hommes à la solde de Clément Barbot à bord des fameuses voitures DKWenlèvent des gens la nuit qu’on ne retrouvait plus jamais. Les tontons macoutes[corps paramilitaire de Jean-Claude Duvalier] avaient le droit de vie et demort ». Ce parcours historique des années noires sous la dictaturesanguinaire de François Duvalier est également une occasion pour le militant desituer l’héritage de Jean-Claude Duvalier.
Guy Gérald Ménard a également rappelé que l’ensemble des différentssecteurs de la société haïtienne avait pris part à la lutte contre ladictature, laquelle va aboutir à la chute du régime en 1986. « Le combatétait mené à l’extérieur du pays par des compatriotes, à travers diversmouvements. L’église, les syndicats, les intellectuels, les militants degauche, des droits humains, tous avaient combattu le régime »,souligne-t-il.
La gestion de l’après Duvalier a toutefois suscité des interrogations,des critiques chez plusieurs jeunes débatteurs nés après la dictature.Analysant attentivement la situation actuelle du pays, ces derniers semblaientse demander : « à quoi cette chute a-t-elle serviréellement ? » Le poète, qui a lui-même mené le combat contre ladictature les tempère : « On a bien fait de renverser le régime quioppressait le peuple et bafouait ses droits. »
Le titre du documentaire d’Arnold Antonin incite les débatteurs àdiscuter des différents « Droits de l’homme » au sein d’unedémocratie. Et l’animateur du débat a pris soin de les énumérer : droitd’expression, de pensée, les droits civils, sociaux, culturels.
Guy Gérald Ménard a également contextualisé et replacé le film, et ladictature qu’il dénonce, dans la situation géopolitique de la décenniequatre-vingt : le bloc de l’Est ou la guerre froide, le soutien desEtats-Unis à des dictatures dans la région caribéenne et sud-américaine.
La projection s’inscrit ainsi dans la mission éducative et culturelle ducentre qui se donne pour objectif d’inciter les jeunes à connaitre l’histoirerécente du pays et à y réfléchir, indique Kermonde Lovely Fifi, la programmatriceculturelle du centre. À l’en croire, ce travail participe à la construction dela citoyenneté, l’une des missions principales du centre.
Un travail de mémoire
« Radio Haïti inter, ledroit à la parole » est le récit de la vie d’exil et d’errance desjournalistes des années 1980 : Lilianne Pierre-Paul, Konpè Filo, HaroldIsaac, Henry Alphonse. A travers ce film à la dimension militante, engagée, leréalisateur, lui-même réfugié au Venezuela, souhaite restituer ce pan demémoire et cette journée sombre et tristement célèbre, qui a vu bannir etdéporter des défenseurs de la liberté d’expression. Le film salue non seulementle courage et l’engagement de ces journalistes, mais rend aussi hommage à lastation Radio Haiti Inter, qui fut un espace de débats, de droit à la parole etde promotion de la démocratie.
Avec ce film, Arnold Antonin veut redonner à cette journée du 28novembre 1980 toute son importance historique. Ce documentaire se veut untémoignage vivant pour l’histoire et la mémoire. Car « lors de cettejournée, écrit le réalisateur, la répression bat son plein. Un décret vainterdire toute prise de parole indépendante et toute manifestation de lapensée. Les artistes, les écrivains, journalistes, les démocrates en font lesfrais… ».
31 ans après sa réalisation, le film d’Arnold Antonin nous convie à laréflexion sur un passé fait d’oppression et de corruption : l’èreduvaliériste. Le narrateur, Arnold Antonin, dénonce dans son récitl’arrestation d’autres militants d’alors, parmi lesquels Pierre Clitandre,Evans Paul dit Konpè Plim, les frères Hérard. Tous ont été, soit exilés, soitcontraints au maquis. Ce récit dénonciateur nous montre l’ampleur féroce de ladictature et du bâillonnement de la liberté d’expression.
Un docudrame
Le film d’Arnold Antonin s’inscrit dans la catégorie des documentairesdramatisés, et les journalistes jouent parfois leur propre rôle. Des scènesfictives ont également été recréées par le réalisateur pour suggérer l’écoutedu journal de 21 heures d’Haïti Inter à l’époque. On y voit, en effet, desreligieuses, une famille de prolétaire autour de la table à manger, lechauffeur de taxi, tous écoutant attentivement la radio.
La scène la plus forte et la plus marquante du film est – sans doute -celle montrant un soldat, fatigué, couché sur les escaliers, écoutantl’émission à partir d’un appareil accroché à son fusil. Cette scène ambigüeavait fasciné l’écrivain Emile Olivier, nous confie Arnold Antonin.
Interrogés, plusieurs jeunes spectateurs se disent impressionnés par laconcision, la précision avec lesquelles le réalisateur a réussi à décrirel’époque. « L’essentiel sur la journée de la journée du 28 novembre a étédit. Il nous apprend beaucoup de choses, sur l’obscurantisme qui a caractériséla dictature. Ce film nous apprend aussi une chose, celle ne pasoublier », confie Frantz C. Bernardin. « J’ai une idée de ladictature. Je sens ce qu’a été et comment vivaient les gens à cetteépoque », révèle Luckens Legros.
« Radio Haïti inter, ledroit à la parole » s’intègre dans le travail de mémorialiste d’ArnoldAntonin. Le film a été salué par la critique vénézuélienne lors de sa sortie.Le réalisateur américain, Jonathan Demme, auteur, entre autres, de « L’agronome » (film sur JeanDominique, le célèbre journaliste assassiné le 3 mai 2000), déclare avecfascination : « Radio Haïtiinter, le droit à la parole » est un petit film extraordinaire. »
Dans le cadre de son ciné-club, le centre projettera tous les lundis desfilms sur les thématiques sociales ou politiques, annonce Kermonde Lovely Fifi.Une carte blanche semble être donnée à Arnold Antoni, car son film, « GNB kont Attila », sur lesderniers événements ayant conduit à la chute d’Aristide, sera projeté le 26août. Un débat s’en suivra.
Cette chronique estproduite dans le cadre du programme de production et diffusion d’informationsmultimédia pour une meilleure appréciation des activités culturelles en Haïti.Il est mis en place par le Groupe Medialternatif et Caracoli, institutionsimpliquées dans la communication sociale et la promotion culturelle, avec lesoutien de la Fondation de France et de la Fondation Culture Création à traversle programme FIL Culture.
Depuis octobre 2012, AlterPresse (agence en ligne du GroupeMédialternatif) et Caracoli éditent un agenda culturel hebdomadaire. Agenda etcompte rendu sont adaptés pour alimenter une chronique radio qui est diffuséesur cinq stations : Radio Kiskeya (Ouest), Radio Express et Radio JacmelInter (Sud-Est), Radio Paillant Inter et Radio PSG (Nippes, une partie duSud-Ouest).