« de-risking » :coup d’État financier
ou défaut delangage dans la presse écrite d’Haïti ?
Par RobertBerrouët-Oriol
Montréal, le 9 septembre 2016
La presse écrite, en Haïti, est unexcellent baromètre, une extraordinaire mine d’or pour les chercheurs quiobservent et analysent un registre de langue ou l’état actuel de la compétenceécrite en français chez ceux qui ont la communication pour profession. Quelquepeu à l’image de la presse écrite en France qui fait la part belle à unerécolte quotidienne d’inutiles anglicismes,la presse écrite haïtienne elle aussi accueille parfois d’inutiles emprunts àl’anglais là où la plupart du temps il existe des termes parfaitement françaisbien implantés dans la langue générale comme dans les langues de spécialité. Exemples :« computer » au lieu d’« ordinateur », « smartphone »plutôt que «téléphone intelligent », « kit » au lieu de « trousse »,« convention center »/« centre de convention » plutôt que«centre des congrès », « sponsor » au lieu de « commanditaire »,etc.
Larousse définitcomme suit le terme « anglicisme » : « Mot, tour syntaxique ou sens de la langue anglaiseintroduit dans une autre langue. Solécisme consistant à calquer en français untour syntaxique propre à l’anglais. » Le dernier-né des anglicismesdans la presse écrite en Haïti est apparu récemment : il s’agit du terme « de-risking », qui alimente les maux de tête desresponsables économiques et politiques du pays. Ils craignent l’étranglementconcerté d’Haïti par la haute finance internationale au motif quePort-au-Prince ne participe pas à la lutte contre le blanchiment des capitaux. Enclair, ils appréhendent un coup d’État financier inédit dans l’histoirenationale dont les effets pourraient s’apparenter à une durable mise àmort de l’économie nationale…
L’anglicisme « de-risking» adonc fait irruption dans l’espace médiatique et il s’invite dans nombre deconversations. L’observation des performances de la presse audiovisuelle, enfrançais comme en créole, pourrait sans doute servir d’indicateur quant à lamigration de ce terme dans la langue parlée. Toutefois dans cet articlej’analyse uniquement les occurrences récentes de « de-risking »dans la presse écrite en français.
I. Observations préalables et domaine d’emploi du terme
En terminologie, l’analyse d’un« terme » (unité terminologique simple ou complexe désignant unenotion) commande de situer ce terme dans son contexte, dans son environnementsyntaxique/grammatical attesté comme dans sa datation et son domaine d’emploi. Ainsi,le terme « de-risking »a été relevé dans les contextesd’utilisation suivants :
« Faceà la menace du « de-risking » qui pèse sur le systèmefinancier haïtien si d’ici novembre 2016, des lois ne sont pas votées pourmettre le pays au diapason par rapport à ses partenaires de l’international,les autorités haïtiennes semblent décréter la permanence en vue d’épargner le[sic] pays du pire [sic]. »(Source : « Deux projets de loi déposés à la Chambre desdéputésLeNational, Port-au-Prince, 31 août 2016)
« Un autre défi qui vient de faire l’objetd’une rencontre multisectorielle et de débats, et qui prend quasiment la formed’une menace sans précédent pour notre système bancaire et financier est le De-risking. »(Source :Le Conseil d’administration de la BRHinstallé LeNational, Port-au-Prince, 31 août 2016)
Une sourceproche de l’Association professionnelle des banques (APB), jointe au téléphonelundi après-midi, estime qu’une banque commerciale haïtienne qui perd unecorrespondante comme [la] Bank of America [cela] signifie qu’elle ne peut plusfaire des transactions sur l’extérieur. (…) Le phénomène est connu sous le nom« de-risking ». Il est mondial ets’intensifie. » (Source : « Banque, blanchiment, terrorisme, Haïti doitagir Le Nouvelliste, Port-au-Prince, 18 juillet 2016)
« Desreprésentants des pouvoirs publics et du secteur privé des affaires, sansforcer sur les traits, ont évoqué les conséquences économiques et socialesdésastreuses du « de-risking » etsurtout l’urgence d’une action rapide et concertée pour éviter ce choc à Haïti,au cours d’une réunion tenue au centre de convention de la BRH, le vendredi 26août 2016. » (…) « Le pays ne peut risquer cette catastrophe »,a-t-il insisté, soulignant que le « de-risking», outre l’impact sur les transferts d’argent, peut avoir des « impacts sociauximportants ». (Source :« Face au spectre « De-risking », le secteur privéattend des actions concrètes », Le Nouvelliste, Port-au-Prince,26 août 2016)
Première observation : dans LeNational comme dans Le Nouvelliste, le terme simple « de-risking » est un subsantif plutôt qu’un adjectifou un verbe. La majuscule de l’exemple no 2 (« De-risking ») est fautive, les règles d’écriture en français n’autorisant pasl’emploi abusif de la majuscule comme c’est couramment le cas en Haïti. Cependantdans les phrases relevées l’emploi substantif du terme « de-risking »est conforme aux règles grammaticales usuelles. C’est plutôt son statutd’anglicisme qui pose problème.
Secondeobservation : unité lexicale ou unité terminologique, le terme « de-risking »relevé dans la presse écrite haïtienne n’est pas attesté, sauf exception, dansles dictionnaires usuels comme un terme français : c’est un emprunt àl’anglais et son domaine d’emploi spécialisé, dans unclassement/indexation de type thésaurus pourrait être la«finance », la « banque » et le « système financierinternational ». Il faudra cependant établir cette indexation par larecherche documentaire. Mais quant à son statut lexicographique, s’agit-il d’unnéologisme par emprunt d’une unité lexicale de l’anglais ou s’agit-il essentiellementd’un calque abusif au détriment d’un terme français déjà implanté dans lalangue usuelle ?
Troisièmeobservation : une recherche sur les occurrences de « de-risking »(sur la disponibilité ou le nombre de fois qu’apparaît le terme) dans la documentationgénérale sur Internet n’a pas permis d’isoler « de-risking » commeuniterme (terme simple) français appartenant à un vocabulaire de spécialité. Par contre,une source spécialisée accessible en ligne, en anglais, fournit un éclairagesémantique de premier plan sur la signification du terme simple « de-risking » dansle vocabulaire particulier de la finance :
« “De-risking” refers to financialinstitutions exiting relationships with and closing the accounts of clientsconsidered “high risk.” There is an observed trend toward de-risking of moneyservice businesses, foreign embassies, nonprofit organizations, andcorrespondent banks, which has resulted in account closures in the US, the UK,and Australia. Low profit, reputational concerns, and rising AML/CFT scrutinycontribute to de-risking, which can further isolate communities from the globalfinancial system and undermine AML/CFT objectives. » (Source : « Understanding BankDe-Risking and its Effects on Financial Inclusion – An exploratory study Tracey Durner and Liat Shetret, Oxfaminternational, 18 novembre 2015.)
[Ma traduction] : « Le « de-risking »consiste, au sein des institutions financières, à mettre un terme aux relationsavec des clients et à fermer les comptes considérés comme étant « à hautsrisques ». On observe une tendance vers le « de-risking » auniveau des entreprises de services monétaires, des ambassades étrangères, desorganismes à but non lucratif et des correspondants bancaires, ce qui a suscitédes fermetures de comptes aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Australie. Desmarges de profits limitées, des inquiétudes quant à la réputation et unesurveillance accrue du LAB/CFT contribuent au « de-risking ». Cecipeut isoler davantage les communautés du système financier global etcompromettre les objectifs du LAB/CFT. »
Cet éclairagesémantique ainsi que la documentation étudiée permettent de circonscrire, dansle domaine de la «finance », la notion de « (…) « de-risking »[qui] consiste, au sein desinstitutions financières, à mettre un terme aux relations avec des clients et àfermer les comptes considérés comme étant « à hauts risques ». Comment dès lors traduire « de-risking » en français ? Une recherche terminologique ponctuelleconsiste à analyser la documentation disponible afin de trouver, pour un termede la langue source, un équivalent dans la langue cible dans un domaine donné.Il s’agit ainsi d’établir l’équivalencenotionnelle, qui est la relation entre deux termes de languesdifférentes désignant une même notion. L’équivalencepeut être parfaite ou partielle, adaptée ou fonctionnelle.
II. Équivalence notionnelle et traduction de « de-risking »
Dans de rares documents bilingues anglais-françaisaccessibles sur Internet et traitant du terme en contexte, quelques équivalentsfrançais sont consignés comme unitermes (termes simples) pour « de-risking ».Ainsi, le dictionnaire contextuel Reverso qui offre des« exemples(…) tirés de millions de textes déjàtraduits venant de dialogues, de documents officiels provenant d’organisationsinternationales et de sites web multilingues », présente quelques équivalentsfrançais du terme « de-risking » :
Contexte du terme en anglais
Contexte du terme en français
The Commission notes with approval the de-risking strategy that has been effectively applied since early 2012.
La Commission note positivement la stratégie de de-risking qui a été effectivement mise en œuvre dès le début de l’année 2012.
Exceptional gain of EUR 308 million including capital gains on acquisitions of subordinated bonds and the cost of de-risking.
Gain exceptionnel de 308 millions d’EUR comprenant les plus-values sur les rachats d’obligations subordonnées et le coût du dérisking
What the public sector did in all these examples I just gave you, and there’s many more, which myself and other colleagues have been looking at, is doing much more than de-risking.
Ce que le secteur public a fait dans tous ces exemples que je viens de vous donner, et il y en a plein d’autres, que moi et mes autres collègues avons étudié, c’est beaucoup plus que dé-risquer
Even the words that we often use to justify the « P » part, the public part – well, they’re both P’s – with public-private partnerships is in terms of de-risking.
Même les mots que nous utilisons souvent pour justifier la partie « P » la partie publique – bon, les deux parties sont des P – avec les partenariats public-privés est en terme de dé-risque
The banking sector will still be « de-risking, » limiting the flow of credit to small and medium-size companies and undermining hiring and investment in plant and equipment.
Le secteur bancaire continuera de « dérisquer », cantonnant le flux de crédits aux petites et moyennes entreprises, et entravant le recrutement et l’investissement dans les usines et les équipements.
dictionnaire contextuel Reverso affichedonc , sans dater les équivalents français qu’il propose : (a) une « francisation »douteuse du terme anglais sous la forme de « dérisking » ; (b)la forme verbale « dé-risquerdérisquer » ainsi que (c) le substantif « dé-risque ». Mais la forme substantive « dé-risque » –sous cette graphie ou sans le trait d’union, « dérisque »–, n’apparaît dans aucun autre document accessible en ligne surInternet comme équivalent notionnel de « de-risking », y compris dans le Grand dictionnaireterminologique (GDT, Officequébécois de la langue française) ou dans Termium Plus (gouvernement duCanada). Ces deux grandes banques de données terminologiques, pourtant mises àjour de manière régulière, ne proposent aucun équivalent français pour « de-risking »
En ce qui a trait auxdocuments unilingues français consignant des occurrences du terme « de-risking »,le site de la Banque mondiale ne propose aucune référence qui atteste l’emploide « de-risking » dans un texte publié en français. Enrevanche, j’ai trouvé sur le site du FMI (Fonds monétaire international) deuxattestations en français et datées du terme « de-risking » :
Déclarationde Michel Sapin »,ministre français des Finances et des comptes publics, au « Comite monétaireet financier international » datée du16avril 2016. L’uniterme « de-risking » y figure sans trait d’union : « Nous assistons actuellement à un phénomène de retrait des banquesdes activités de correspondance, privant notamment les migrants de lapossibilité de transférer des fonds. Les causes de cette tendance au derisking sont multiples. »
Déclaration de Immongault Tatagani », ministre gabonais de l’Économie,au« Comite monétaire et financier international » datée du 9 octobre2015. Le terme simple « de-risking »y figure comme suit : « (…) nousappelons le FMI à développer, conjointement avec la Banque mondiale et leConseil de stabilité financière, des options de politique pour appuyer leséconomies en développement touchées par le comportement de type « de-risking » de la part des grandes banques etde leurs correspondants, et par le repli des activités bancaires de cesdernières qui contribue à l’exclusion financière.
Poursa part, la IATE (Inter Active Terminology for Europe) –qui est la base dedonnées terminologique multilingue de l’Union européenne–, ne fournit aucunetraduction du terme « de-risking ».Sur le site de la IATE, la notion de « de-risking » n’esttraitée ni en anglais ni en français. De leur côté, l’ISO(Organisation internationale de normalisation) et l’AFNOR (Associationfrançaise de normalisation) ne consignent en anglais comme en français aucunedonnée relative au « de-risking ».Il en est de même de la base de données du CILF (le Conseil international de lalangue française), de la base de données FRANCETERME (qui regroupe les termes recommandés parusau Journal officiel de laRépublique française), de TERMSCIENCES (labase de données commune à plusieurs institutions de recherche françaises), de TERMINOBANQUE (la banque de données terminologiquesdu Service de la Communauté française de Belgique), de WTOTERM (la base dedonnées de l’Organisation mondiale du commerce), d’INFOTERM (la base de donnéesdu Centre international d’information pour la terminologie) : toutes cesbases de données ne consignent aucun dossier portant sur le terme « de-risking ».
Une recherche documentaireplus poussée a permis d’aboutir à des résultats plus probants, plus proches del’équivalence notionnelle entre le terme anglais et ses possibles traductions.Ainsi, le site traductionnel en ligne glosbe.com propose sans les dater, pour l’uniterme « de-risking »,les termes complexes « diminution des risques » et « réductiondes risques ». Toutefois ces termes complexes ne sont pas accompagnésd’un énoncé illustrant le contexte d’utilisation et le domaine d’emploi n’estpas indiqué. Cesmêmes équivalents français de « de-risking »,dont les sources sont attestés en 2008 dans le domaine de la gestion financière,sont consignés commesuit dans le UNTERM (United Nations MultilingualTerminology Database), la base de données terminologiques multilingues desNations Unies :
Terme anglais
Définition anglaise
Équivalent(s) français
de-risking
Activity or series of activities which reduce or lower risk in a given situation or context.
Often used in the financial field.
diminution des risques
réduction des risques
atténuation des risques
Pourles besoins traductionnels des journalistes qui préparent leur article surl’imminence d’un « de-risking » dans l’économie haïtienne, ceséquivalents français sont-ils suffisants et adéquats ? Présentent-ils lesmêmes traits sémantiques d’une langue à l’autre, de l’anglais aufrançais ? L’approfondissement dudossier permet de soutenir que nous sommes en présence d’une « équivalence partielle fonctionnelle » car les termes « diminution des risques »,« réduction des risques » et « atténuation des risques » ne recouvrent qu’une partiede l’aire sémantique de « de-risking », c’est-à-dire une partie seulement dela signification du terme anglais de départ. En effet, ces trois équivalentsreprennent le trait « risk »/« risque » commun aux deux langues.Les traits « diminution » et « réduction » du risque sontdans un rapport de synonymie et il est logique de poser qu’ils génèrent une« atténuation » du risque, le terme « atténuation »lui-même comportant les traits sémantiques de « correctif » et de« correction » : l’« atténuation » rend le risquemoins important. Mais en revanche, et comme l’indique la référence de Oxfam international citée en début d’article et consignant les traits de définition du terme « de-risking »« Le« de-risking » consiste, au sein des institutions financières, àmettre un terme aux relations avec des clients et à fermer les comptesconsidérés comme étant « à hauts risques »–, la notion dans la langue dedépart exprime l’idée d’une « rupture », d’une« cessation », d’un « terme final » et cette idée centrale,ce trait sémantique essentiel devrait se retrouver dans les équivalentsfrançais. Ce qui n’est guère le cas avec les équivalents « diminution des risques »,« réduction des risques » et « atténuation des risques ». D’autre part, le préfixeanglais « de »/« de- » renvoie au trait définitoire« removal »/« retirer » proche de la « cessation »,du « terme final » de la notion de départ, « de-risking ». Il en découle que l’équivalentfrançais de « de-risking » doit nécessairement comporter lestraits de définition suivants : « cessation » (des relations avec desclients) +« terme final » (des relations avec des clients)« réduction des risques » (par la fermeture des « comptes considérés comme étant « à hauts risques
Ces arguments d’ordre linguistique et terminologique plaidentpour l’adoption du terme complexe « désengagement face aux risques financiers » afin de traduire « de-risking »dans le domaine de la finance. Je propose donc cet équivalent français qui,s’il n’est pas encore attesté dans la documentation disponible, a le mérite derassembler les traits de définition que je viens d’exposer. De plus, ilprésente l’intérêt de s’insérer parfaitement dans le système de la langue, dansles exemples trouvés dans la presse écrite haïtienne. Ainsi, l’exemple no2 se transcrirait comme suit : «Unautre défi qui vient de faire l’objet d’une rencontre multisectorielle et dedébats, et qui prend quasiment la forme d’une menace sans précédent pour notresystème bancaire et financier est le((désengagement face aux risques financiers))
III. En guise de conclusion : le « de-risking »aux portes de l’Université d’État d’Haïti
Lesjournalistes aux prises avec les difficultés de traduction du terme « de-risking » peuvent-il compter sur les ressourcestraductionnelles de l’Université d’État d’Haïti ? Est-il utile au pays deréfléchir sur la question des anglicismes et des emprunts dans les variétés defrançais et de créole d’Haïti ? Plutôt que d’apporter une réponse toutethéorique ou abstraite à ces questions, j’estime plus utile de les mettre enperspective, d’indiquer une orientation qui pourrait être bénéfique àl’ensemble de la presse écrite en Haïti.
Depuis la nuit des temps, les langues voyagentavec les hommes et à travers les échanges entre les communautés linguistiquesles besoins de la communication ont toujours donné lieu à des emprunts, àtoutes sortes d’emprunts qui ont enrichi les langues naturelles. C’est ainsi qu’à traversle temps la langue française, au contact de réalités nouvelles, s’est enrichiede milliers d’emprunts à d’autres langues : « paella » (espagnol) ; « kermesse »(hollandais) ; « opéra » (italien) ; « jazz »,« football », « bifteck »,« budget », « tunnel », « rail », « wagon », (anglais) ; « couscous »,« alambic », « alchimie », « algèbre »(arabe) ; bonsaï », « bonze », « geisha », « judo »,« kimono » (japonais) ;du tamoul : calicot, catamaran (par l’anglais), patchouli (par l’anglais), cachou et mangue (par le portugais), vétiver ; du malais : « rotin », « bambou »(par le portugais), « sarbacane »,« thé » (par l’anglais),etc.
Il serait doncvain et improductif de vouloir proscrire les emprunts de manièredogmatique : la vision la plus porteuse est de bien les comprendre et de lessituer dans le cadre de l’aménagement linguistique. C’est ainsi que le Québec aprocédé en adoptant une politique relative aux emprunts (voir, là-dessus, l’excellente étude deChristiane Loubier : « De l’usage de l’emprunt linguistiqueOffice québécois de la langue française, 2011). Dans le cas d’Haïti j’ai abordé la question des emprunts dans le livre de référence « L’aménagement linguistique enHaïti : enjeux, défis et propositions» (Robert Berrouët-Oriol et al., Éditions du Cidihca etÉditions de l’Université d’État d’Haïti, 2011). Je l’ai également fait dansplusieurs autres textes(voir notamment mon article de mars 2015, « Les cheminsde croix du terme « graduation » en français et en créolehaïtien» dans lequel je traite des emprunts, des « emprunts libres » et des « empruntsplanifiés » ; voir aussi le texte « Le « kit électoral »a-t-il une identité linguistique en Haïti ? », juin 2015Pour sa part, le linguiste haïtien Renauld Govain, actuel doyen de la Faculté delinguistique d’Haïti, a effectué un remarquable travail de terrain publié en2014 chezl’Harmattan àParis sous le titreLesemprunts du créole haïtien à l’anglais et à l’espagnol réalité des langues au pays ainsi que le volume et la nature desrelations économiques entre Haïti et ses voisins commandent d’approfondir davantagele phénomène –y compris jusqu’à étudier le volet des « empruntscontre-productifs »–, et d’inclure une claire vision des emprunts dans lafuture première loi d’aménagement des deux langues officielles du pays.
Dans le processus derédaction de leurs articles sur le « de-risking » etcompte-tenu des très courts délais de «bouclage » de l’édition quotidienned’un journal, les journalistes haïtiens n’ont pas nécessairement le réflexe deconsulter des dictionnaires ou des lexiques bilingues anglais-français –à supposerque ces instruments de travail soient disponibles dans leur environnement. Saufexception, ils ne sont pas non plus familiers des immenses ressourcestraductionnelles, gratuites et accessibles en ligne, que sont le Grand dictionnaireterminologique (GDT, Officequébécois de la langue française) et Termium Plus (gouvernement duCanada). Ces deux grandes bases de données terminologiques de réputationinternationale, qui comprennent chacune environ trois millions de termes,consignent des vocabulaires scientifiques et techniques anglais-français régulièrementmis à jour et couvrant la plupart des domaines d’activités connus. Le Centre Pen-Haïti, l’Institutfrancophone de journalisme et les autres écoles de formation des journalistesen Haïti pourraient sans difficultés inscrire l’utilisation de ces bases dedonnées terminologiques, gratuites etaccessibles en ligne, dans les habitudesde travail des futurs professionnels de la presse écrite comme de la presseaudiovisuelle.
Ces instruments de travail, quiconsignent notamment des vocabulaires portant l’étiquette de qualité linguistique«recommandé » et « normalisé », sont également à laportée de la Faculté de linguistique de l’Université d’État d’Haïti qui n’offrepas encore de diplôme spécialisé en traduction/terminologie. Lors d’uneprochaine refonte de ses programmes de formation axés sur les besoins réels dupays dans le champ de la traduction, la Faculté de linguistique pourraitbénéficier de l’accès gratuit auGrand dictionnaireterminologiqueTermium Plus et intégrer ces ressourcesterminologiques de grande qualité dans la mise sur pied d’un cycle complet deformation universitaire spécialisée en traduction. Une telle formation spécialiséedevrait s’articuler à une structure de type « veille linguistique »dédiée à la prestation de services traductionnels professionnels dontbénéficieraient en particulier les journalistes et les autres langagiers.
Au jour d’aujourd’hui, un journalistehaïtien soucieux de consulter de la documentation comprenant le terme « de-risking » ne peut pas compter sur l’aide traductionnellede la Faculté de linguistique pour produire un article portant sur cette notion.Face à l’abondance et à la diversité des termes techniques provenant pourl’essentiel de l’anglais, cette institution universitaire vouée aux questionslinguistiques en Haïti depuis 1978 est lourdement démuniedans le champ de la traduction/terminologie scientifique et technique et elle souffred’une carence de vision handicapante à ce niveau. Dépourvue de professionnelsenseignants formés en traduction/terminologie, elle ne peut pas à l’heure actuelle offrirune expertise traductionnelle standardisée aux journalistes aux prises avecles… « de-risking » du métier.
Je le précise une fois deplus : à vouloir s’approprier une neuve vision des besoins linguistiquesd’Haïti dans le domaine de la traduction au service de la presse écrite, il estnécessaire, en toute rigueur, de faire appel à diverses ressources accessiblesen ligne –parmi lesquelles le Grand dictionnaireterminologiqueTermium Plus, qui comprennentdes sections « Outils d’aide à larédaction »–, afin de contribuer à la conception de programmes deformation spécialisée à la Faculté delinguistique dans les champs de la traduction/terminologie, de la rédactionadministrative et technique et de la rédaction publicitaire et journalistique. Cetteinstitution de l’Université d’État d’Haïti parviendra dès lors à offrir desservices linguistiques sur mesure aussi bien aux journalistes qu’aux autresprofessionnels langagiers.