RenauldGovain analyse « Les emprunts du créole haïtien
àl’anglais et à l’espagnol
Renauld Govain,docteur en sciences du langage, a axé une partie de ses travaux sur lasociolinguistique. Il est l’auteur d’un récent ouvrage dont la réflexion porte surle créole haïtien et ses rapports avec les deux langues prêteuses que sontl’anglais et l’espagnol. Il nous a accordé une interview.
Le livre deRenauld Govain, Les emprunts du créole haïtien à l’anglais et à l’espagnol*,se partage entre analyses et lexique de termes empruntés à l’anglais et àl’espagnol. L’auteur aborde la question de l’emprunt, les situations et lesconditions qui le favorise spécifiquement en ce qui concerne le créole haïtien.Outre les circonstances qui impliquent pour les locuteurs haïtiens d’utiliserces deux langues pour stimuler leur langue naturelle, l’enseignant del’Université d’État d’Haïti inventorie non seulement les cadres contemporain ousémantique dans lesquels s’implantent les évolutions, mais aussi les incidencesprévisibles nées des contacts entre le créole haïtien et l’anglais via les« mass media américains », et du créole haïtien avec l’espagnol,langue géographique voisine. Ce que permettent de mesurer les centainesd’entrées classifiées et développées dans ce livre.
Dans l’interviewqui suit, Renauld Govain nous offre de mieux comprendre le caractère utile,enrichissant, ou inévitable des « Emprunts du créole haïtien à l’anglaiset à l’espagnol » et, de façon circonstanciée, les types d’emprunts queses observations de spécialiste mettent en évidence. Le livre déroule sur plusde 400 pages les emprunts du créole haïtien à l’anglais, une étude sur des motscréoles d’origine anglaise terminés en -mann (de « man » signifiant« homme » en anglais) et enfin les emprunts du créole haïtien àl’espagnol. L’interview ci-dessous aide à appréhender la finalité de l’étudeentreprise par Renauld Govain, dont les observations sur l’évolution du créolehaïtien dans différents domaines permettent aussi de comprendre de façon plusglobale comment et pourquoi se régénère une langue.
e-Karbé – Commentet pourquoi est née l’idée de cet ouvrage ? Qu’est-ce qui, dans l’évolution ducréole haïtien contemporain, rendait essentiel cette étude ?
Renauld Govain – L’idée d’écrire cet ouvrage est néede l’observation du parler créole d’un certain nombre de locuteurs haïtiensnotamment la plupart des animateurs d’émissions de musiques à la radio et latélévision. Ces derniers, généralement jeunes, recourent en s’exprimant encréole à une série de termes d’origine anglaise, alors que dans la plupart descas les termes et expressions créoles correspondant existent normalement.
En outre, j’ai étéattiré par les nombreux termes que le recours au téléphone portable, aux outilsinformatiques et des technologies a fait « atterrir » dans le parler créolehaïtien durant ces 15-20 dernières années. Les termes empruntés à l’espagnolsont généralement plus anciens que les trois quarts de ceux empruntés àl’anglais et sont en nombre inférieur à ceux faits à l’anglais.
D’après vosobservations, quels sont les contextes qui favorisent le plus les emprunts delangue, puis de parole ?
L’emprunt deparole s’observe dans le parler de l’haïtien au contact de l’anglais (ou del’espagnol) qui intègre parfois dans son énoncé produit en créole des motsd’anglais ou d’espagnol, qu’on ne rencontre guère dans le répertoire desindividus monolingues. Tandis que l’emprunt de langue consiste en ce qu’unelangue au contact d’une autre lui emprunte des termes. Ces emprunts s’intègrentdans le système de la nouvelle langue et s’y acclimatent normalement. Ils sontprésents même dans le répertoire des monolingues. Parfois, les locuteurs nesavent même pas s’il s’agit d’éléments empruntés. Ainsi, l’emprunt de paroleprécède l’emprunt de langue dont il serait une étape.
L’emprunt deparole est favorisé par la gestion de l’urgence communicative dans unesituation de communication par un locuteur donné. Cette urgence communicativeamène le locuteur à ne pas laisser passer de temps – à courir après les espacesblancs – au cours du processus d’échange. Ainsi, il recourt au mot de l’autrelangue de son répertoire bi-plurilingue pour effacer ces blancs. Mais aussil’emprunt de parole peut être l’expression d’un certain snobisme : employer desmots d’origine anglaise dans le parler de certains jeunes haïtiens est souventvécu comme faisant distingué. Les media (radio et télévision) sont des lieuxprivilégiés de manifestation de l’emprunt de parole.
L’emprunt delangue quant à lui se produit généralement par la nécessité d’expression dansdes domaines formels spécifiques où l’emprunt s’impose comme un choixstratégique nécessaire pour exprimer une réalité spécifique à valeur partagéepar un certain nombre de locuteurs de communautés linguistiques différentes. Onpeut placer dans ce cadre les emprunts intégraux ou les mots internationaux quisont adoptés dans diverses langues avec les mêmes signifiant et signifié, voireles mêmes référents. Les domaines de la littérature, de la presse, de la politique…font partie des lieux de manifestation de l’emprunt de langue.
Dans votre livre,vous distinguez et explicitez « les emprunts de parole » qui peuventdevenir « des emprunts de langue », de « l’emprunt dediscours ». Le créole haïtien est-il plus perméable à ces emprunts qu’uneautre langue ? Ce phénomène est-il un danger pour le créole haïtien ?
Les emprunts deparole constituent une étape vers les emprunts de langue suivant la fréquenced’utilisation des premiers et l’appropriation communautaire qui est en faite.Une fois intégrés dans le système interne de la langue emprunteuse, cesemprunts de langue s’y acclimatent et deviennent des éléments lexicaux de lalangue. Quant à l’emprunt du discours, il renvoie généralement à des segmentsde discours.
L’emprunt deparole est conscient, mais pas forcément. Le locuteur est rarement conscient durecours à l’emprunt de langue. L’emprunt de discours est tout à fait conscient.Il est même une stratégie de communication en vue d’attirer l’attention desinterlocuteurs sur un fait communicatif donné. Si l’emprunt de parole et/ou delangue fait souvent l’objet d’une improvisation, dans l’emprunt de discours, lelocuteur n’improvise pas autant. Au contraire, ce type d’emprunt est une formede comportement communicatif planifié en vue d’un effet particulier en termesde rétroaction. L’emprunt de discours dépasse le simple cadre du lexème pourconcerner davantage des segments discursifs plus grands tels des phrases, desénoncés entiers ou des slogans. C’est le cas, par exemple, du slogan « Haiti isopen for business » qu’on entend dans les discours du président haïtien MichelMartelly (élu en 2011 et dont le mandat devrait s’achever en 2016) notammentquand son discours vise des membres de la communauté internationale ou ladiaspora haïtienne des États-Unis.
L’emprunt est unphénomène naturel que connaissent toutes les langues du monde. De ce point devue, il serait imprudent de croire que le créole haïtien y est plus enclinqu’une autre langue. Cependant, il peut être plus perméable que d’autreslangues par rapport au fait qu’il n’existe guère d’institution qui se charge decontrôler l’entrée de ces emprunts. La loi sur l’Académie du créole haïtienvient d’être promulguée par le pouvoir exécutif le 7 avril 2014 mais l’institutionn’est pas encore physiquement debout. Peut-être que si elle a une bonnegouvernance elle pourra servir à opérer ce genre de contrôle nécessaire pour lebon fonctionnement du système qu’est la langue.
Donc, l’entréedans le créole haïtien de ces emprunts n’est pas le signe d’un danger ensoi. Le danger pourrait être de laisser entrer dans la langue n’importe quelleforme sans que cette dernière ne se conforme un tant soit peu au systèmeinterne de la langue emprunteuse. C’est dans cette perspective que j’ai proposéla création de la commission nationale d’emprunts qui serait versée dans unecommission plus large qui serait une commission de terminologie. L’une desmissions, mais pas seulement, serait de contrôler la qualité des emprunts quele créole haïtien fait à des langues étrangères en vue de les rendreconformes au système linguistique du créole.
Une part de votrelivre concerne les « mots créoles d’origine anglaise formés selon laformule « nom créole + le suffixe ‘mann ». Est-ce une façon demesurer la force de création du créole haïtien
Les mots formés decette manière montrent comment il se met en place une dynamique de créationlexicale dans la pratique du créole haïtien dont le vocabulaire seraittiré du français à 85% pour reprendre Pradel Pompilus en 1985 . Mais aussi,notre étude nous invite à reconsidérer cette statistique plutôt à la baisse :beaucoup d’emprunts sont faits à l’anglais (certains à l’espagnol) alors que denouveaux termes français n’entrent guère. En outre, depuis l’introduction ducréole à l’école, les agents de normalisation et de standardisation préconisentde ne plus employer de nouveaux termes provenant du français et, ainsi, defaire l’effort de créer des mots qui soient proprement créoles. Entre-temps,les nouveaux emprunts à l’anglais font leur chemin dans la langue même siaucune institution ne se charge d’étudier leur (degré de) conformité auxmécanismes de fonctionnement interne du créole haïtien.
Donc, les motscréés sur ce modèle emploient un procédé mixte : un « mot-base » créole estadjoint avec le suffixe anglais –mann pour former un signifier indiquant unhomme qui agit en exerçant une activité manuelle spécifique. Ce procédé deformation de mots est tributaire d’une situation sociale spécifique : lamajorité de ces mots sont formés parce qu’il n’existe pas, en créole haïtien,un mot unique pour exprimer ce que le mot terminé en -mann exprime. Mais ilexprimerait davantage la force de création lexicale s’il s’agissait d’unprocédé interne de création lexicale au créole haïtien.
Vous précisez, àpropos de la méthodologie choisie pour votre étude, que votre objectif« est de rendre compte des traces de l’anglais et de l’espagnol dans lelexique du créole haïtien synchronique » et vous préconisez aussi la miseen place d’une « commission nationale d’emprunts ». Peut-on dire quele propos du livre est aussi de mettre en place des critères d’acceptabilitédes emprunts linguistiques ? Quelle est l’ambition ultime d’un tel travail derecherche ?
La missionprincipale de cette commission est de veiller à la conformité des empruntssusceptibles d’intégrer le créole. Elle serait ainsi chargée d’adapter lesemprunts au système morpho-phonologique du créole haïtien et elle pourraittravailler à l’évaluation des néologismes que les locuteurs adopteraient par leprocessus des emprunts lexicaux en vue de faire des propositions de savoir sion peut les intégrer ou non dans la langue. Car, l’adoption d’emprunts massifspourrait à la longue parvenir à modifier la physionomie lexicale du créolehaïtien si ce processus d’emprunt n’est pas contrôlé et bien évalué. Si ceprocessus d’emprunt massif n’est pas contrôlé, il peut, à terme, conduire à unautre processus dont parlent certains créolistes, dont Jean Bernabé, qu’est ladécréolisation.
L’ambition ultimede cette recherche est de présenter une photographie du processus d’emprunts ducréole haïtien à l’anglais et à l’espagnol, deux langues étrangères quicontribuent le plus à la constitution du lexique du créole haïtien sur leplan synchronique. Cette étude montre que la forte proportion d’emprunts àl’anglais traduit le rapport de force entre les communautés, celle qui estdominée sur le plan politique, technique, économique ou socioculturel, faisantdavantage appel aux ressources linguistiques de celle qui est vécue commedominante. Les rapports de force entre les langues en contact (contact médiatou immédiat) ne sont guère très différents des rapports de force ensociopolitique. Les langues les plus fortes sur le plansocio-économico-politique sont celles qui sont susceptibles d’exercer une plusgrande influence sur les autres avec lesquelles elles sont en contact.
Vous consacrez unepart de votre recherche à « l’influence de l’anglais dans la nominationdes groupes musicaux » pour finir par noter l’absence de l’espagnol tantdans les compositions que dans la dénomination des groupes. Est-ce possibled’expliquer cet état de fait malgré la position géographique du pays ?
Le résultat decette partie de la recherche confirme la forte dominance des emprunts àl’anglais malgré le fait qu’Haïti partage une très longue frontière d’environ360km avec la République dominicaine qui a l’espagnol comme seule langue decommunication. D’un autre côté, comme je l’ai bien montré dans la partie enquestion, le groupe musical haïtien, pour se sentir légitimé et être reconnucomme tel, se tourne vers les États-Unis, en particulier vers les communautésdiasporiques haïtiennes disséminées à travers ce pays. L’ensemble musical haïtienformé en Haïti et qui n’a pas encore réussi à faire sa petite tournée auxÉtats-Unis ne se considère pas comme un ensemble qui existe dans l’imaginairecollectif. Aussi, même dans ses chansons, on sent cette attirance vers larépublique étoilée : il les composent en créole majoritairement (un créoleplutôt « francisé ») avec çà et là des bribes d’énoncés en anglais. L’objectifest de faire sentir aux membres des communautés diasporiques évoquées il y a uninstant qu’il chante aussi pour eux. L’espagnol est le grand absent dans ceschansons malgré le fait qu’il y un million d’Haïtiens qui vivent en Républiquedominicaine et dans d’autres pays voisins de la grande Caraïbe hispanophone.Dans ce cas, les attirances linguistiques constituent une forme de miroir quiréfléchit les rapports d’attirance socioéconomique en rapport aux possibilitésque telle langue offre suivant les possibilités socioéconomiques qu’offre lepays qui la pratique.
Vous avez« observé le parler créole des Haïtiens » chez les jeunes et lesanimateurs radio, ou encore analysé « la dénomination des formationsmusicales » des nouveaux groupes. Qu’en est-il des emprunts à l’anglais ouà l’espagnol dans la littérature haïtienne ?
Pendant un certaintemps, la littérature haïtienne ne s’exprimait qu’en français jusqu’à une daterelativement récente où le créole s’est vu introduire petit à petit dans lechamp littéraire, qu’il s’agisse du champ romanesque ou de celui de la poésie.Mais il est plus présent dans la poésie en général. La situation étant telleque nous l’avons présentée, il serait impossible de ne pas sentir la trace del’anglais dans cette littérature. Cependant, sa présence n’y est pas massive.De même, les emprunts à l’espagnol ne sont pas inexistants quoi que pas trèsimportants dans la littérature.
Nous pouvonsconsidérer que les emprunts à l’anglais se manifestent sous deux formes : destermes qui relèvent d’une forme international d’emprunt qui tendent às’acclimater dans le français général ou le français haïtien, c’est-à-dire desanglicismes, et des emprunts ponctuels qu’on pourrait considérer comme desemprunts de parole. L’anglicisme est un emprunt à l’anglais ou par extension àl’anglo-américain. Dans cette deuxième acception, il est synonymed’américanisme. Un anglicisme est un terme ou une expression que le françaishaïtien a emprunté à l’anglais par le biais du contact de locuteurs haïtiensavec l’anglais ou par l’entremise du recours aux outils technologiques et destélécommunications. Les rapports linguistiques entre les Haïtiens qui émigrentaux États Unis d’Amérique semblent influer sur la pratique du français enHaïti.
En voici quelquesexemples d’anglicismes :
– Et cinq minutesplus tard, les tanks arrivent. (Laferrière, p. 228)
– L’influence dela culture de rock-stars… (Laferrière, p. 115)
– La radio passecette chanson western qui raconte l’histoire d’un cowboymalheureux en amour. (Laferrière, p. 14)
– …T-shirt,jeans, tatouages, paupières roses, yeux pétillants. (Laferrière, p. 33) ;
– …un zoomsur cette jeune fille riant sur le trottoir d’en face avec un cellulaire visséà l’oreille. (Laferrière, p. 90)
– Papa Doc étantl’unique star. (Laferrière, p. 113)
– Si un gosse deriches qui se fait kidnapper par un gang devient après deux semaineschef de gang à cause du syndrome de Stockholm… (Laferrière, p. 170)
– Pareille vaniténe résiste pas à un second rhum-punch. (Laferrière, p. 182)
– Un jeune homme «de bonne famille » kidnappé il y a quelques mois est devenu chef de gangdu pays. L’avocate de la famille a déclaré à la radio que « c’était pour neplus se faire kidnapper à l’avenir qu’il était devenu un kidnappeur». (Laferrière, p. 169)
– Et cela, notreculture de hit-parades, des podiums, de prix, de awards, de compétitionsle comprend très bien. (Laferrière, p. 146)
– Pour les coursde négociations qu’on devrait suivre avant d’aller en Haïti, je commence, commecoach, ces religieuses. (Laferrière, p. 151)
– Assis au fondd’une pièce sombre, le chef de section était en train de siroter un cocktailmaison, du « sellé-bridé », un alcool capable de vous faire galoper jusqu’àl’aube. (Laferrière, p. 295)
– Une mimiquepar-ci, un soupir par-là, les mains autour du cou comme une star decinéma ». (Lahens, p. 21)
– Un américainavec un accent chantant comme dans les westerns. (Lahens, p. 70) ;
– Et fit le gestede les viser l’un après l’autre comme dans les films de policiers et de gangstersà la télé. (Lahens, p. 105) ;
Reconstituant le puzzle, ellearriva à lire les instructions de son bien-aimé. (Victor, p. 57)…
On remarque laprésence d’hispanisme dans la littérature haïtienne d’expression française, unhispanisme désignant une construction ou emploi propre à la langue espagnole.Toujours est-il, ils y sont remarqués en nombre inférieur comparé à la présencedes anglicismes. En voici quelques exemples tirés des mêmes romans :
– On secroisait près de la place Saint-Alexandre, le dimanche matin, alors qu’elle serendait à l’église et que je revenais d’une fiesta. (Laferrière, 2009,p. 124)
– Je luidirais alors comment j’ai travaillé fort pendant la zafra. (Victor, p.61) ;
– Ils m’ontraconté la vie dans les bateys. (Victor, p. 77) ;
–Pirus portaitpour l’occasion des pantalons de coton blanc, un gwayabera blanc avecdes mocassins assortis. (Victor, p. 65)
Ces anglicismes nesont certes pas des éléments exclusifs du français haïtien dont nous parleronsplus loin, mais ils nous donnent une idée des cas d’anglicismes qu’ontrencontrent dans la littérature haïtienne. Et ces auteurs ou plutôt ces romanschoisis au hasard ne sont pas parmi ceux qui emploient le plus d’anglicismes.Cependant, les hispanismes identifiés ici font tous partie de ce françaishaïtien. Il est peut-être intéressant de souligner qu’en général on parle de «guayabelle » avec une réalisation plus ou moins francisante de « guayabera »qui est une une chemise d’origine cubaine qui peut être à manches longues oucourtes, contenant des plis verticaux en avant et en arrière, se portant sansveston et recouvrant le pantalon. En réalité, la chemise guayabelle se comportecomme une veste.
Quant à la batey,elle peut être considérée comme une certaine division administrative. Elledésigne tout l’espace près des champs de canne construit avec lesinfrastructures de base, le plus souvent par l’administration de la compagniequi exploite les champs en question, sur lequel vivent les travailleurs de lacanne de telle sorte qu’ils n’aient pas à marcher longtemps pour se rendre surleur lieu de travail. la zafra est la période ou la saison de récolte de lacanne à sucre en République Dominicaine notamment. La fiesta est un terme assezcourant en créole haïtien et français haïtien pour indiquer une fêteorganisée entre amis ou gens de connaissance en vue de partager des solennités.
Par ailleurs, onpeut postuler l’existence d’un français haïtien qui est différent d’autresformes de parlers francophones à divers égards. Le français haïtien estalors une forme de parler français propre à Haïti et différente des autresformes de parlers de cette même langue rencontrées un peu partout dans lafrancophonie. Il est fondé sur des normes endogènes, c’est-à-dire des usagescaractérisés par des spécificités locales d’ordre (socio-)linguistique voireécologique assurant l’expression de réalités socioculturelles, communautaires,identitaires propres à Haïti.
Les spécificitésdu français haïtien proviennent du contact immédiat du français avec lecréole – les deux langues officielles du pays qui cohabitent – et de celui plusou moins médiat du français avec l’anglais et l’espagnol. Ainsi, le françaishaïtien s’est constitué certaines spécificités se manifestant dans des casd’haïtianismes (termes nés dans le contexte socioculturel et écologique haïtienet qui sont utilisés dans la pratique du français haïtien) ou de créolismes(emprunts faits au créole dans le contexte haïtien). Ces spécificités sesituent dans tous les compartiments de l’appareillage linguistique de la langue: lexico-sémantique, phonologique, morphosyntaxique. Mais le niveau lexico-sémantiqueest plus imposant.
Vous travaillezsur un autre ouvrage qui s’intitulera « Plurilinguisme, pratique etavenir du français en Haïti ». Dans celui dont il est question ici,vous vous demandez si « dans 15-20 ans le français connaîtrait un reculplus affirmé par rapport à l’anglais ? » Quelles actions permettraientselon-vous d’empêcher ce recul ?
L’avenir dufrançais en Amérique se joue en Haïti dont la contribution dans la constructionde la francophonie n’est plus à démontrer. Cependant, dans l’état actuel de lapratique du français dans le pays, des efforts méritent d’être faits en vue defaire d’Haïti une communauté de diffusion et d’expansion de la langue sur lecontinent. La francophonie haïtienne n’est pas négligeable : l’accession de l’écrivainDany Laferrière à l’Académie française, par exemple, est une preuve que cettefrancophonie est bien vivante. Mais elle mérite d’être renforcée. Et ce renfortdoit venir tant de l’intérieur que de l’extérieur, c’est-à-dire de lafrancophonie elle-même. Ainsi, de par sa situation géographique, la circulationdes Haïtiens dans l’espace mondialisé, sa participation comme membre de blocsrégionaux et continentaux tels l’OEA, la CARICOM, l’AEC, la CELAC…, lacommunauté linguistique haïtienne représente un atout, voire un tremplin ou uneplaque tournante pour la diffusion de la langue française et l’expansion de lafrancophonie dans la région en général. Le français se pratiquant en Haïticomme une langue seconde dont l’enseignement / apprentissage est assurénotamment par l’école, il se pose la nécessité de renforcer la base de cetteactivité en passant par la réforme des curricula et l’élaboration de matérielsdidactiques s’appuyant sur des approches contextuelles basées aussi sur sacohabitation avec le créole.
Votre livrepropose non seulement un copieux lexique des mots empruntés à l’anglais et àl’espagnol, mais aussi une analyse de la situation du créole haïtiencontemporain. À quel lecteur ou utilisateur peut-il s’adresser ?
Le livre viseavant tout un public francophone mais pas seulement. En même temps, il offreune certaine initiation au créole haïtien. La transcription en alphabetphonétique international doit permettre à ceux qui ne connaissent pas très bienla graphie du créole et la prononciation qui va avec elle de pouvoir lire etcomprendre les éléments au regard notamment de la traduction qui est proposéede tous les exemples considérées et qui servent de gloses à chaque entrée.Autant dire que le chercheur anglophone et/ou hispanophone a de quoi aiguisersa curiosité sur le fonctionnement du créole haïtien à divers égards.
Les empruntsdu créole haïtien à l’anglais et à l’espagnol
Renauld Govain
Éditionsl’Harmattan
Avril 2014, 462pages
46euros
NDLR – Source :e-Karbe,3 juin 2014. Voir aussi, sur le site www.berrouet-oriol.com, à la rubrique« Mes coups de cœur en 2014 »,le compte-rendu critique du livre Les empruntsdu créole haïtien à l’anglais et à l’espagnol par le linguiste HuguesSaint-Fort.