Le droitlinguistique et les droits linguistiques
Par Joseph-G. Turi *
LesCahiers de droit (volume 31, numéro 2, 1990)
Faculté de droit de l’Université Laval
Étude reproduite en mai 2017 avecl’aimable autorisation de l’auteur.
En 1990, le juriste Joseph-G.Turiétaitsecrétairegénéral de l’Institut international de droit linguistique comparé et directeurdu secrétariat et des services juridiques à la Commission de protection de lalangue française du Québec. En 2011, il a signé la postface livre de référence « L’aménagementlinguistique en Haïti : enjeux, défis et propositions» (Éditions du Cidihca et Éditionsde l’Université d’État d’Haïti.
Résumé
Le droitlinguistique, entendu objectivement, est un ensemble de normes juridiques ayantpour objet le statut et l’utilisation d’une ou de plusieurs langues, nommées etinnommées, dans un contexte politique donné. Il s’agit d’un droit métajuridiqueen ce que la langue, qui est le principal outil du droit, devient enl’occurrence à la fois le sujet et l’objet du droit. Il s’agit également d’undroit futuriste en ce qu’il consacre davantage, même si encore plutôttimidement et implicitement, le droit à « la » langue, et donc ledroit à la différence. Les droits linguistiques, entendus subjectivement,droits à la fois individuels et collectifs, comprennent le droit à « une »langue (le droit d’utiliser une ou plusieurs langues nommées, notamment dans lechamp de l’usage officiel des langues, droit de nature essentiellementhistorique) et le droit à « la » langue (le droit d’utilisern’importe quelle langue, notamment dans le champ de l’usage non officiel deslangues, droit de nature essentiellement fondamental). Cette distinction,désormais reconnue par la Cour Suprême du Canada, s’inspire des principes deterritorialité et de personnalité linguistiques. Enfin, selon que le droit linguistiqueest considéré d’ordre public ou pas, il vise surtout la langue ou les locuteurslinguistiques. De toute façon, le droit linguistique ne vise en général que lalangue-médium (la forme) et non pas la langue-message (le contenu).
Pourquoi, de nos jours, un État ou des Étatslégifèrent-ils de façon importante en matière de politique linguistique ? S’ily a législation linguistique importante, c’est qu’il y a dans le fond, danscertains contextes politiques, à la fois contacts, conflits et inégalités entredes langues en présence sur un même territoire donné, où coexistent donc defaçon problématique des langues objectivement ou apparemment dominantes etdominées et donc des majorités et des minorités linguistiques, ce qui en soin’est pas anormal, étant donné la pérennité de la Tour de Babel.
Le butfondamental de toute législation linguistique est de régler, d’une façon oud’une autre, les problèmes linguistiques qui découlent de ces contacts,conflits et inégalités linguistiques, en planifiant ou en aménageantjuridiquement le statut et l’utilisation des langues en présence, tout enprivilégiant davantage la protection, la défense ou la promotion d’une ou deplusieurs langues nommées, et ce, par le truchement d’obligations et de droitsjuridiques élaborés à cette fin.
1. Typologie des législations linguistiques
Onclasse, d’une part, les législations linguistiques en deux catégories, selonleur champ d’application: celles qui traitent de l’usage officiel des langueset celles qui traitent de l’usage non officiel des langues, même s’il y a, biensûr, des zones grises à ce sujet.
D’autrepart, on classe les législations linguistiques en quatre catégories selon leursfonctions : les législations linguistiques officielles, les législationslinguistiques normalisantes, les législations linguistiques standardisantes etles législations linguistiques libérales. Les législations qui remplissenttoutes les fonctions ci-après décrites sont des législations linguistiquesexhaustives, alors que les autres sont des législations linguistiques nonexhaustives.
Onappelle « législations linguistiques officielles » les législations qui ontpour fonction d’officialiser une ou plusieurs langues nommées ou plus ou moinsdescriptibles dans les domaines officiels de la législation, de la justice, del’Administration publique et de l’enseignement, en appliquant selon lescirconstances les principes classiques de territorialité (obligation ou droitd’utiliser objectivement une ou plusieurs langues nommées) ou de personnalitélinguistique (obligation ou droit d’utiliser subjectivement «sa» langue). Entant que telle, l’officialisation d’une ou plusieurs langues nommées n’entraînepas nécessairement ou automatiquement des conséquences juridiques importantes.Le sens et la portée juridiques d’une telle officialisation dépendront dutraitement juridique réel y relatif (par exemple, lorsque l’on déclare dans uneloi que seuls les textes officiels ou certains d’entre eux sont authentiques ouprévalent sur les textes rédigés dans une ou plusieurs autres langues).
On appelle «législations linguistiques normalisantes » les législations qui ont pourfonction de faire d’une ou de plusieurs langues nommées la ou les langueshabituelles et normales ou langues communes des domaines non officiels dutravail, des communications, de la culture, du commerce et des affaires.
On appelle «législations linguistiques standardisantes » les législations linguistiques quiont pour fonction de faire en sorte que la ou les langues nommées qu’ellesvisent respectent certaines normes linguistiques grammaticales dans desdomaines très précis et très délimités, généralement des domaines officiels outrès techniques.
Cela dit, faut-ilsouligner le fait qu’une législation linguistique n’oblige jamais personne àutiliser une langue absolument ; cette obligation ne prend naissance que dansla mesure où est accompli ou doit être accompli un acte ou un fait juridiquevisé par une législation linguistique.
De plus, faut-ilsouligner également le fait que c’est la forme écrite (la langue-médium) et nonpas le contenu linguistique écrit (la langue-message) qui est généralementvisée par les normes juridiques explicitement linguistiques. Le contenu ainsique la forme linguistiques à la fois peuvent être visés, le cas échéant, pardes législations généralement non explicitement linguistiques, comme le Code civilou la Charte des droits et libertés de la personne ou la Loi sur laprotection des consommateurs. Ce qui veut dire que des termes et desexpressions linguistiques ou des concepts linguistiques (la langue maternelle,par exemple) ne sont généralement visés par une législation linguistique quedans la mesure où ils sont formellement compréhensibles, intelligibles,traduisibles, appropriates ou identifiables d’une façon ou d’une autre oupossèdent un sens quelconque dans une langue donnée. D’autant plus qu’unelégislation linguistique vise en principe plutôt les locuteurs d’une langue (entant que consommateurs ou usagers) que la langue elle-même (en tant que bienfaisant partie intégrante du patrimoine culturel d’une nation), sauf lorsqueladite législation est clairement d’ordre public.
La Cour d’appel duQuébec, dans l’arrêt Miriam, du 22 mars 1984, et la Cour supérieure duQuébec, dans l’arrêt Gagnon, du 15 décembre 1986, et les coursfrançaises dans de nombreux arrêts, dont l’arrêt Steiner de la Courd’appel de Paris, du 27 novembre 1985, confirment l’essentiel de ces remarques (1).
Tout ce qui estlinguistiquement « neutre » n’est donc pas généralement visé par unelégislation linguistique, conformément entre autres aux dispositions del’article 20 du Règlement québécois sur la langue du commerce et des affaires
Au fait, alors quela quantité ou la présence d’une langue peut faire l’objet d’une législationlinguistique exhaustive, la « qualité » ou la correction de la langue est leroyaume de l’exemple et de la persuasion dans le champ de l’usage non officieldes langues, et de l’école et de l’Administration publique dans le champ del’usage officiel des langues.
Si lesnormes juridiques en matière linguistique sont moins sévères que les normeslinguistiques grammaticales, cela est attribuable aux quatre raisonsfondamentales suivantes : parce que les meilleures législations sont celles quilégifèrent le moins, particulièrement dans l’usage non officiel des langues ;parce que la langue, en tant que phénomène essentiellement culturel, est enprincipe difficilement appropriable et définissable juridiquement; parce queles normes juridiques, comme d’ailleurs les normes socio-linguistiques, ne sontappliquées et applicables que si elles tiennent compte des coutumes et desusages locaux ainsi que des comportements du bon père de famille ou de lapersonne raisonnable, qui n’est pas un être parfait linguistiquement, alors queles normes linguistiques grammaticales s’inspirent de la relation maître- élève; parce que les sanctions juridiques, pénales (amendes ou emprisonnement) ouciviles (dommages-intérêts, nullité relative ou absolue) sont généralement plusrigoureuses que les sanctions linguistiques (mauvaises notes, perte de prestigesocial ou perte de clientèle, le cas échéant).
Voilàpourquoi les juristes sont plutôt prudents, juridiquement, en matière depolitique linguistique. Voilà pourquoi aussi les juristes sont plutôt réticentslorsqu’il s’agit d’interpréter une législation linguistique comme étant une loiexclusivement d’ordre public. Par loi d’ordre public, il faut entendre touteloi comprenant des normes juridiques qui sont à ce point fondamentales etessentielles, individuellement et collectivement, qu’elles deviennent impérativeset donc incontournables de façon absolue.
Lessanctions juridiques d’une loi d’ordre public étant tout à fait redoutables(comme la nullité absolue), les juristes, plus particulièrement les juristesquébécois, préfèrent ne pas considérer les lois linguistiques comme étant deslois exclusivement d’ordre public, sauf si le contexte juridique desdites loisest clairement en faveur d’une telle interprétation, notamment dans le champ del’usage officiel des langues (3) Il est vrai que la Cour de cassation françaisea déclaré implicitement, dans l’arrêt France Quick, du 20 octobre 1986,que la législation linguistique française était d’ordre public (4). Mais celan’a pas empêché, par la suite, la Cour d’appel de Versailles, dans son arrêt FranceQuick, du 24 juin 1987, de considérer comme conformes à ladite législationdes termes tels que « spaghettis » et « plum-pudding » parce que « connus duplus grand public (5) » .
Le butfondamental de ladite législation est donc de protéger à la fois lesfrancophones et la langue française. Par «francophones» il faut entendre toutepersonne dont le français est la langue d’usage, ce qui veut dire, du point devue juridique, toute personne pouvant parler et comprendre habituellement lefrançais d’une façon relativement intelligible.
Onappelle « législations linguistiques libérales » les législations linguistiquesqui ont pour fonction de consacrer, d’une façon ou d’une autre, explicitementou implicitement, la reconnaissance juridique des droits linguistiques. Mais ledroit linguistique, au singulier et entendu objectivement (en tant que normesjuridiques ayant pour objet la langue), fait une distinction au sujet desdroits linguistiques, au pluriel et entendus subjectivement, entre le droit à «une » langue (le droit d’utiliser une ou plusieurs langues nommées dansplusieurs domaines, notamment les domaines officiels) et le droit à « la »langue (le droit d’utiliser n’importe quelle langue dans plusieurs domaines,notamment les domaines non officiels). Par ailleurs, ces droits linguistiques,qui s’inspirent respectivement du principe de territorialité et du principe depersonnalité, sont à la fois individuels et collectifs. Du moment où parailleurs les droits linguistiques sont également des droits collectifs, ilspeuvent appartenir, le cas échéant, également aux personnes morales et nonseulement aux personnes physiques.
2. Droit linguistique comparé
Lalégislation linguistique canadienne (la Loi sur les langues officielles) estun exemple de législation officielle qui consacre le droit à « une » langue, àdeux langues nommées, le français et l’anglais, alors que la législationlinguistique québécoise (la Charte de la langue française) est unexemple de législation exhaustive qui consacre d’une certaine façon à la foisle droit à « une » langue et le droit à « la » langue, au français, àquelques langues plus ou moins nommées et aux autres langues dans la mesure oùelles ne sont pas nommées (6).
Dansl’arrêt MacDonald, du 1 mai 1986, et l’arrêt La Chaussure Brown’s, du15 décembre 1988, la Cour suprême du Canada a reconnu et consacré, à toutesfins utiles, la distinction qu’il faut faire entre le droit à «une» langue(droit principal explicitement historique dans le champ de l’usage officiel deslangues) et le droit à «la» langue (droit accessoire implicitement fondamentaldans le champ de l’usage non officiel des langues) ainsi que les différencesqui existent entre l’usage officiel et l’usage non officiel des langues. Selonla Cour suprême, le droit à «la» langue fait implicitement partie intégrante dudroit fondamental explicite qu’est la liberté d’expression (7). De plus, dansl’arrêt Irwin Toy, du 27 avril 1989, la Cour suprême du Canada aconfirmé que certains droits linguistiques, comme le droit implicite à lalangue dans le domaine non officiel du commerce, appartenait de toute évidenceégalement aux personnes morales (8).
Parailleurs, une étude relativement complète des Nations Unies de 1979, le RapportCapotorti, indique que s’il y a parfois dans le monde des interdictions ou desrestrictions légales quant à l’utilisation d’autres langues que la ou leslangues officielles dans l’usage officiel des langues, de pareilles interdictionsou restrictions légales n’existent généralement pas dans l’usage non officieldes langues (9).
Ledirigisme juridique de plus en plus fréquent en matière linguistique a suscitéla naissance ou l’affirmation d’une nouvelle science juridique, le droit linguistiquecomparé. Le droit linguistique comparé étudie donc le droit des langues de parle monde (ainsi que la langue du droit et les relations entre le droit et lalangue). Dans la mesure où la langue, qui est le principal outil du droit,devient à la fois sujet et objet du droit, le droit linguistique devient dudroit métajuridique. Dans la mesure où le droit linguistique comparé reconnaîtet consacre davantage, même si parfois de façon timide et implicite, le droit àla langue, il devient du droit futuriste, car il va dans le sens de l’histoire.Ce qui est en soi remarquable, car la reconnaissance ou la consécrationhistorique de plus en plus prononcée, dans le temps et dans l’espace, du droità la langue fait la promotion culturelle du droit à la différence, gage decréativité autant pour les individus et les familles que pour les sociétés, lesnations et la communauté internationale.
Toutefois,le droit à la langue ne devient un droit fondamental effectif, à l’instar decertains droits fondamentaux, que dans la mesure où il est enchâssé nonseulement dans des normes juridiques supérieures mais également dans des normesjuridiques exécutoires (ou normes-préceptes) qui identifient de la façon laplus précise possible les titulaires et les destinataires des droits etobligations linguistiques ainsi que des sanctions juridiques y relatives.Autrement, le droit à la langue ne demeurera qu’un droit fondamental théorique,à l’’instar de plusieurs droits fondamentaux, se retrouvant ainsi proclamé dansdes normes juridiques déclaratoires (ou normes-programme) comprenant des droitslinguistiques sans véritable contrepartie en matière d’obligations et sanctionscorrespondantes.
S’ilest vrai que le droit est le royaume du gris, que légifère mieux qui légifèrele moins, plus particulièrement dans le champ de l’usage non officiel deslangues, il n’en demeure pas moins que le droit à « la » langue (et donc, ledroit à la différence) ne sera pas un vain mot, juridiquement, que dans lamesure où il sera enchâssé d’une façon ou d’une autre dans des normesjuridiques exécutoires, comme l’est généralement le droit à «une» langue.
Entant que droit historique, le droit à « une langue » mérite dans certainscontextes politiques un traitement spécial, même s’il n’est pas en soi un droitfondamental. En tant que droit fondamental, le droit à « la » langue, même s’ilconsacre la dignité de toutes les langues, ne saurait être considéré en soicomme un droit absolu en toutes circonstances. Une hiérarchie finit pars’établir à ce sujet qui doit tenir compte, de façon différente mais nondiscriminatoire juridiquement, des impératifs linguistiques à la foishistoriques et fondamentaux des personnes et des nations concernées dontl’impératif de rétablir une égalité certaine entre plusieurs langues présentesdans un contexte politique donné (10).
En édictant, entreautres à l’article 89, que « Dans les cas où la présente loi n’exige pasl’usage exclusif de la langue officielle (le français), on peut continuer àemployer à la fois la langue officielle et une autre langue », la Charte dela langue française du Québec, en reconnaissant et en consacrant d’unefaçon différente le droit à « une » langue et le droit à « la » langue,comporte une solution hiérarchique intéressante en matière de politiquelinguistique, qui sauf exception est exemplaire, dans la mesure où elle n’estpas juridiquement discriminatoire (11).
NOTES
Dans l’affaire Miriam, la Cour d’appel du Québec, dans uneopinion incidente, est arrivée à la conclusion que l’article 89 de la Chartede la languefrançaise du Québec (qui permet sauf exception l’utilisationgénéralisée à la fois du français et d’une autre langue) ainsi que le préambulede ladite Charte (là où il en dit que la loi doit être appliquée «dans unesprit de justice et d’ouverture ») consacraient, à toutes fins utiles, leprincipe de la liberté linguistique au Québec (S.F.P.C. c. Miriam, 1984,CA., 104). Dans l’affaire Gagnon, la Cour Supérieure du Québec a reconnucomme français le terme apparemment anglais d’«office» utilisé dans le sens de«réception», car il s’agissait en l’occurrence d’un québécisme non interdit parla loi et par surcroît compréhensible au Québec (Charles Gagnon c. LeProcureur général du Québec; arrêt n° 200-36-000035-86). Dans l’affaire Steiner,la Cour d’appel de Paris, par son arrêt du 27 novembre 1985, a confirmé lejugement du Tribunal de Paris, du 1er décembre 1984, quireconnaissait comme français « le mot show, qui se retrouve dans tous les bonsdictionnaires de la langue française, et est facilement compréhensible par tous» ainsi que l’expression show-room « attendu qu’il n’existe pas detraduction française de l’expression show-room et qu’il serait inquisitorial etabusif d’imposer […] les termes hall ou salle d’exposition…» (arrêt n°85-1233, de la13eChambre des appels correctionnels, Section B ; jugement n° 148-705).
L’article 20 dudit Règlement édicté que «Toute inscription, toutaffichage public et toute publicité commerciale peuvent être présentés par desmoyens pictographiques, par des chiffres, par toute combinaison artificielle delettres, de syllabes ou de chiffres ou par des sigles»(L.R.Q., c. C-ll,r. 9).
3. Dans l’arrêt Sutton, du 23février 1983, et dans l’arrêt Miriam, du 22 mars 1984, la Cour dessessions de la paix de Montréal et la Cour d’appel du Québec respectivementdéclarent que dans certaines situations données la législation linguistiquequébécoise ne s’applique aux francophones que dans la mesure où ils exigentexplicitement d’être servis en français, d’où la conclusion que lesfrancophones peuvent renoncer à leurs droits linguistiques, ce qui suppose, detoute évidence, que ladite législation n’est pas censée être d’ordre public (R.c. Sutton, 1983, C S . P . , 101 ; cet arrêt a été confirmé en Coursupérieure du Québec par l’arrêt n° 500-36-0000136-831, du 15 août 1983 ; pourl’arrêt Miriam, voir supra, note 1).
4. Dans l’affaire France-Quick, laCour d’appel de Paris, dans son arrêt du 14 décembre 1986, a acquitté uneentreprise accusée d’avoir utilisé les expressions et termes suivants : « Giant», «Big», «Coffee-drink», «Bigcheese», «Fishburger», «Hambuger», «Cheeseburger»et « Milkshake » parce que ces termes et expressions « étaient dans le contexteou fantaisistes ou compréhensibles pour les consommateurs français» (arrêt n°1327/84dela 13 Chambre des appels correctionnels, Section B). La Cour decassation a cassé cet arrêt en s’appuyant sur la thèse selon laquelle lalégislation linguistique française protégeait davantage la langue française queles locuteurs français, et ce, sans trop entrer dans les détails (arrêt n°85-90-934 de la Chambre criminelle).
5. La Cour d’appel de Versailles s’estinspirée en partie de la décision de la Cour de cassation (voir supra, note4) dans son arrêt relatif à l’affaire France-Quick (arrêt n° 69-87, dela 7e Chambre).
6. Loi sur les langues officielles, S.R.C.,1970, c. C-02; la Loi a été modifiée, de façon relativement importante, enjuillet 1988 (Voir Projet de loi C-72, adopté par le Parlement canadien le 7juillet 1988 et sanctionné le 28 juillet 1988). Charte de lalanguefrançaise, L. R.Q., c. C-11 ; la Charte a été modifiée de façonrelativement importante, en décembre 1983 et en décembre 1988 (LQ. 1983, c. 56;L.Q. 1988, c. 54).
7. MacDonaldc. Ville deMonlréal[l986\\ 1 R.C.S.460; Le Procureur général du Québec c. LaChaussure Brown’s [1988] 2 R.C.S. 712. Dans l’affaire La ChaussureBrown’s, la Cour Suprême déclare que « la langue est si intimement liée àla forme et au contenu de l’expression qu’il ne peut y avoir de véritable libertéd’expression linguistique s’il est interdit de se servir de la langue de sonchoix » (p. 748).
8. Le Procureur général du Québec c.Irwin Toy Limited, [1989] 1 R.C.S. 927. Dans cet arrêt, la Cour Suprêmedu Canada a confirmé la thèse selon laquelle la liberté d’expression était undroit fondamental appartenant à la fois aux personnes physiques et auxpersonnes morales. La Cour, cependant, est arrivée à la conclusion que le droitfondamental de « chacun à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne»(tel qu’il est reconnu à l’article 7 de la Charte canadienne des droits etlibertés) ne pouvait appartenir qu’aux personnes physiques (p. 1004). Parailleurs, la Cour Suprême a donné cette définition de la liberté d’expression :« En fait, la liberté d’expression est la garantie que nous pouvons communiquernos pensées et nos sentiments, de façon non violente, sans crainte de lacensure » (p. 970). Pour la Cour Suprême du Canada, la liberté d’expressioncomprend en principe n’importe quel contenu (n’importe quel message, y comprisles messages commerciaux) et n’importe quelle forme (et donc n’importe quellelangue), sauf la forme violente.
9. CAPOTORTI Francesco, Étude desdroits des personnes appartenant aux minorités ethniques, religieuses etlinguistiques, Nations Unies, New York, 1979 (voir plus particulièrement lapage 81). Voir également : TURI, Joseph-G., Les dispositionsjuridico-constitutionnelles de 147 États en matière de politique linguistique, C.I. R. B., Université Laval, Québec 1977. Voir aussi : Tove SKUTNABB-KANGAS andRobert PHILIPPSON, Wanted ! Linguistic Human rights, Rolig, Roskilde,Danemark, 1989.
10. Voir à ce sujet: Joseph-G. TURI,«Introduction au droit linguistique», Langue et Droit- Language and Law, sousla direction de Paul Pupier et José Woehrling, Wilson et Lafleur, Montréal,1989, p. 55-84.
11. Pour ce qui a trait au caractèrenon discriminatoire de certaines dispositions de la Loi 101 (article 35 de laloi qui exige de la part des professionnels une connaissance appropriée de lalangue française) voir l’arrêt de la Cour Suprême du Canada dans l’affaire Forget(Procureur général du Québec c. Nancy Forget, [1988] 2 R.C.S. 90).Dans cet arrêt, la Cour a décidé par ailleurs que « la notion de langue ne selimite pas à la langue maternelle, mais englobe aussi la langue d’usage ou decommunication habituelle… il n’y a pas lieu d’adopter une interprétationétroite qui ne tienne pas compte de la divergence éventuelle entre la languematernelle et la langue usuelle» (p. 100).
Pour ce qui a trait au caractèrediscriminatoire de certaines dispositions de la Loi 101 (articles 58 et 69 dela loi relatifs à l’utilisation exclusive de la langue française dans lesdomaines de l’affichage et des raisons sociales), voir l’arrêt de la CourSuprême du Canada dans l’affaire La Chaussure Brown’s (voir supra, note7). Dans cet arrêt, la Cour a décrété que la distinction fondée sur «la langueusuelle», créée par l’article 58 de la Loi 101, avait pour effet de « détruire» le droit fondamental de « s’exprimer dans la langue de son choix » (p. 787).
Pour ce qui a trait aux dispositions del’article 89 de la Loi n° 101, voir supra, note 1.
Source :LesCahiers de droit (volume 31, numéro 2, 1990)