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OBSCÉNITÉSET VULGARITÉS DANS LA CULTURE HAÏTIENNE
Par Hugues St. Fort
New York, mars 2014
Premièrepartie
Contrairementà ce que certains peuvent penser, la culture haïtienne est loin d’êtreinnocente par rapport à son positionnement sur la question des obscénités, desvulgarités et des comportements considérés comme indécents. Toutes classessociales confondues, les Haïtiens ne semblent pas récuser fortement lesobscénités et les vulgarités qui constituent une part importante de ce qu’onappelle la « culture authentique » haïtienne, c’est-à-dire le vodou, la musique« rara », les « gede », les « seremoni lwa ». Cet article a pour objectifd’examiner le rôle et la fonction des obscénités et autres vulgarités dans laculture haïtienne. Pourquoi les Haïtiens semblent-ils tellement portés àexprimer publiquement des expressions considérées comme obscènes, ou à manifesterdes comportements corporels dits vulgaires dans certaines manifestations demasse ? Dans une société où les élites bourgeoises tiennent les massespopulaires et paysannes à distance par le mépris et le rejet de ce quiconstitue les marqueurs identitaires de ces groupes socialement dominés,c’est-à-dire le vodou, et ses formes d’expression (rara, gede), le kreyòl et laplace qu’il aurait dû occuper dans les instances formelles de l’état, quesignifie la prolifération des obscénités dans la vie nationale ?
Danscet article, je ne porterai pas des jugements de valeur sur l’usage desobscénités ou autres vulgarités chez les Haïtiens car je pense qu’elles ne sontpas le fruit du hasard mais jouent plutôt une fonction dans la culturehaïtienne. Je chercherai à identifier cette fonction. Après une définition del’obscénité, j’examinerai si et comment elle se manifeste dans la culturehaïtienne. Je verrai ensuite comment les classes bourgeoises, populaires etpaysannes ont traditionnellement réagi aux obscénités et vulgarités en Haïti.Finalement, j’analyserai le rôle et la fonction des obscénités dans la culturehaïtienne.
SelonLe Petit Robert 2011, ce qui est obscène est ce « qui blesse la délicatesse pardes représentations ou des manifestations grossières de la sexualité… uneobscénité est une parole, une phrase ou une image obscène, (pg.1721). Lessynonymes d’obscénité donnés dans le Petit Robert sont indécence, grossièreté,ordure, cochonnerie, saleté. L’Encyclopédie en ligne, Wikipédia, signale que «dans les dictionnaires actuels, le mot est pourvu de deux sens. Dans Le Trésorde la langue française, le premier sens se rapporte à la sexualité ; le secondà la morale sociale ; dans la neuvième édition (en cours) du Dictionnaire del’Académie française, le premier est propre ; le second figuré. »
Donc,fondamentalement, le terme obscénité est lié à la description par le canald’images, de mots ou d’actions, de choses qui sont de nature expressémentsexuelle. Il faut cependant remarquer que dans la mesure où le thème del’obscénité fait partie des objets de recherche à part entière en sciencessociales, plusieurs questions se posent en ce qui concerne les variations de ladéfinition du terme d’une culture à une autre, ou même entre des personnes àl’intérieur de la même communauté culturelle. Ce qui est obscène dans telleculture ne sera pas forcément obscène aussi dans telle autre culture. Parexemple, ce que la plupart des Haïtiens appellent « gouyad » et qui soulèvetraditionnellement de fortes critiques chez certains membres des classesmoyennes et bourgeoises en Haïti ne semble pas rencontrer le courroux de laplupart des citoyens américains lorsqu’ils sont en face d’un tel phénomène. Lefameux « danse kole » cher à tellement d’Haïtiens et d’Haïtiennes ne semble pasêtre en odeur de sainteté chez la plupart des citoyens américains. Par contre,quand il y a quelques années, Janet Jackson a laissé entrevoir ses seins à latélé au cours de la pause d’une finale de match de football américain, cela acréé un scandale fabuleux dans les médias américains, mais n’a pas,apparemment, semblé porter atteinte à la pudeur dans les milieux haïtiens.Donc, l’obscénité semble être une notion relative.
Del’avis de pratiquement tous les Haïtiens, les obscénités, vulgarités etindécences sont légion dans la culture haïtienne et principalement dans levodou haïtien. L’un des livres qui analysent le plus intelligemment et le pluscomplètement possible ce phénomène demeure Rara ! Vodou, Power, and Performance inHaiti and its Diaspora (2002) de l’ethnologue américaine ElizabethMcAlister. Dans ce livre qui est une célébration des pratiques religieuses etculturelles du vodou, McAlister analyse en détail le phénomène des bandes raraet ce qu’elles représentent dans les pratiques culturelles haïtiennes.Traditionnellement en Haïti, les bandes rara commencent à se manifester dès lafin du carnaval, entre le carême et la semaine des Pâques. Elles envahissentles rues des principales villes et des villages, dansant, chantant, jouant dela musique et célébrant la culture religieuse du vodou. Pour McAlister, « Rara is the yearly festival in Haitithat, even more than Carnival, belongs to the so-called peasant classes and theurban poor.” (Rara représente le festival annuel en Haiti qui, encoreplus que le carnaval, appartient aux soi-disant classes paysannes et auxpauvres des zones urbaines) [ma traduction]. Selon McAlister, il existe uneforme de discours créole appelé betiz. Les bandes rara sont particulièrementartistes à ce jeu de betiz et elles chantent des obscénités explicitementsuggestives tout au long de leurs longues randonnées dans les rues.
Voicideux chansons particulièrement obscènes rapportées par McAlister dans son livrecité plus haut :
Aristide,Peyi a se pou ou Aristide, le pays t’appartient
Konyenbouzen jan ou vle Baise les putes comme tu veux
(Rara sezon, 1991)
Arebò,arebò arebò langèt Tout autour, tout autour du clitoris
Bondyevoye m se la pou m amize m Dieu m’a envoyé là pour m’amuser
Sela pou m pran plezi m C’est là oû je vais prendre mon pied
[ma traduction]
Personnene niera que ces chansons possèdent la particularité de blesser ouvertement lapudeur dans le domaine de la sexualité. Les bandes rara en abusent au cours dessix semaines durant lesquelles elles sévissent pour la plus grande joie de ceuxet celles qui assistent à leurs défilés.
L’autregrand moment de la liberté des manifestations grossières de la sexualitédébridée en Haïti est la période des « gede ». Pour McAlister, « in Vodou, jokes using « betiz » arethe special province of Papa Gede, the bawdy spirit of sex and death whotirelessly works, jokes, and heals.” (dans le vodou, les blagues quidéversent les obscénités relèvent de la spécialité de Papa Gede, l’espritpaillard du sexe et de la mort qui n’arrête jamais de travailler, de blaguer,et de guérir.) [matraduction]. Dans son livre, The Faces of the Gods. Vodou and Roman Catholicismin Haiti, l’anthropologue haïtien, Leslie Desmangles, qui enseigne la religionà Trinity College dans le Connecticut, précise que « the lwa Gede isparticularly noted for his repertoire of stories, narrated in a nasal tone andin a vocabulary that, under other circumstances, any Haitian would considerobscene. Gede always tries to provoke his devotees with his ribaldry. Hisstories and his songs describe the secret love affairs of the members of thecommunity, omitting none of the lewd details. » (le ‘lwa’ Gede estbien connu pour son répertoire d’histoires racontées avec une voix nasale et unvocabulaire que, dans d’autres circonstances, n’importe quel Haïtienconsidérerait obscène. Gede cherche toujours à provoquer ses adeptes avec sesgrivoiseries. Ses histoires et ses chansons décrivent les débats amoureuxsecrets des membres de la communauté et n’omettent aucun des détails obscènes.)[ma traduction]
Lesobscénités et autres vulgarités existent bel et bien au cœur de la culturehaïtienne et touchent toutes les classes sociales. Si les bandes rara se sontconcentrées particulièrement parmi les classes populaires des zones urbaines etles nombreuses classes paysannes, cela ne veut pas dire que les classesmoyennes et bourgeoises de Port-au-Prince, des banlieues privilégiées ou desgrandes villes de province n’ont jamais eu de contact avec les bandes rara. Aucontraire, ces classes moyennes et bourgeoises sont attirées par lesgrivoiseries des Gede et autres bandes rara. Cette attraction de l’obscénité vacontribuer à déboucher sur l’aventure du 20 mars 2011 et c’est ce que nousverrons la semaine prochaine dans la deuxième partie de cet article.
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