Aménagement linguistique.3 (livre)
Vers un aménagement linguistique en Haïti
Wigueny Sainterveut
Le Nouvelliste , Port-au-Prince, le 30 août 2011
Article reproduit en janvier 2017
Titre du livre : L’aménagement linguistique en Haïti : enjeux, défis et propositions
Auteurs : Berrouët-Oriol, Robert, Cothière, D., Fournier, R., Saint-Fort, H.
Éditions du Cidihca et Éditions de l’Université d’État d’Haïti, 2011.
Dansce fameux ouvrage intitulé « L’aménagementlinguistique en Haïti : enjeux, défis et propositions », écrit par ungroupe de spécialistes en linguistique, la question de la coexistence des deuxlangues officielles du pays est posée dans une rigueur scientifique innovante.Les auteurs identifient des problèmes majeurs liés à la problématique dubilinguisme, les analysent en profondeur et proposent des pistes consensuellesde solutions à ce phénomène. L’ouvrage traite essentiellement d’un aspect d’uneimportance majeure pour le développement du pays et l’intégration d’unecatégorie sociale déterminée dans la vie sociopolitique du pays. Il s’agit del’aménagement linguistique en Haïti, plus précisément du statut du créole et dufrançais en tant que deux langues officielles du pays au niveau del’administration publique et comme langues d’enseignement et languesenseignées.
Ladichotomie entre le français et le créole remonte jusqu’à la période colonialeoù le français était survalorisée parce qu’elle était la langue des maitres. Lecréole de son côte était perçu comme une langue inférieure utilisée par lesesclaves pour communiquer entre eux. Notre société d’aujourd’hui ayant héritéde cet antagonisme linguistique reproduit sous d’autres formes des perceptionspositives et négatives vis-à-vis de l’une et de l’autre. De nos jours, lefrançais est associé à une classe de gens formés, éduqués et riches et lecréole est vu comme la langue des pauvres, des analphabètes, des illettrés.
Lesauteurs prennent le contrepied des détracteurs du créole qui soutiennent qu’iln’est pas une langue. Les spécialistes démontrent qu’il est une langue à partentière qui s’est constituée à travers le temps.
D’ailleursplusieurs écrivains, poètes, romanciers ont fait du créole leur langued’écriture. En effet, malgré le fait que la Constitution de 1987 confère aucréole le statut de langue officielle à côté du français, force est deconstater que cette langue continue de faire l’objet de stigmatisation et dedévalorisation continues un peu partout mais surtout à travers l’administrationpublique et aussi dans le système éducatif. Les documents de l’administrationpublique sont en majorité rédigés uniquement en français. Le français sert delangue d’enseignement dans les écoles et à l’Université. Et le créole se voitreléguer complètement au second plan malgré son statut de langues officielles.Il est essentiellement réduit à son rôle de simple langue maternelle et delangue orale de communication pour l’ensemble des Haïtiens.
Laproblématique du bilinguisme a toujours été un épineux problème dans la sociétéhaïtienne. Malheureusement, les autorités qui se sont succédé au pouvoir aucours des deux siècles écoulés n’ont jamais pris des mesures aptes à garantirune cohabitation meilleure et beaucoup plus juste des deux langues du pays. Aucontraire elles ont contribué à renforcer l’opposition qu’il y a entre les deuxlangues aggravant ainsi les divisions sociales et l’exclusion d’une grandepartie de la société dans les affaires du pays.
Celivre interpelle la conscience de tous nos dirigeants sur la nécessité dedivorcer avec cette pratique d’écrire une chose sur le papier et d’agir d’unemanière complètement différente. Si dans la Charte fondamentale le créole estreconnue comme une langue officielle, en est-il ainsi dans les faits ?Aujourd’hui, peut-on affirmer que le créole est une langue officielle en Haïti?
Cetouvrage se révèle très utile surtout par rapport au contexte de reconstructionoù l’on est actuellement. Il s’inscrit dans le souci de favoriser uneimportance égale à chacune des deux langues du pays. Il constitue unecontribution importante dans le processus de la résolution du problème de la diglossie[sic] dans notre pays. A partir desanalyses approfondies, les auteurs fournissent un ensemble d’informations,d’idées novatrices pouvant permettre à nos dirigeants de trouver un équilibreentre les deux langues officielles du pays. Ils encouragent la mise en placed’une véritable politique dans le but de répondre aux problèmes posés par cephénomène de diglossie [sic] et aussid’assurer à nos deux langues une place égale dans la société. Les auteurs vontjusqu’à plaider en faveur d’un projet de loi portant sur l’aménagement et ladidactique des deux langues haïtiennes.
Cetouvrage offre aux dirigeants de ce pays une occasion en or de corriger unesituation qui a trop duré. Les idées qu’il renferme pourraient servir auxdécideurs politiques comme point de départ afin de faire d’autres réflexionsbeaucoup plus poussées pour voir dans quelle mesure on peut insuffler au créoleune représentation sociale beaucoup plus valorisante par rapport au français.Ce livre s’inscrit dans la perspective de valoriser la diversité linguistique.Il nous appelle à servir de cette diversité au profit du pays et non à sondétriment. Il nous montre que la variété est une richesse. Ces deux langues onttoutes les deux joué un rôle fondamental dans notre histoire de peuple et fontpartie de notre patrimoine culturel. Ainsi, nous nous devons de les protéger.