«Tante Résia et les dieux » de Yanick Lahens, une fenêtre
pour explorer le vodou
Par Lucner Norguès
Le Nouvelliste, 9 septembre 2019
Toute la vie de la société haïtienne n’est qu’une pendule qui balance entre l’exotisme et la tradition ancestrale. La multidimensionalité de la vie et le rapport sensible de l’Haïtien avec l’au-delà sont ceux qui constituent l’échine dorsale de « Tante Résia et les dieux ». Publié par Legs Editions, cette œuvre de 160 pages de Yanick Lahens agit sur l’intellect du lecteur à titre d’éclaireur. L’auteure y place une magnifique fenêtre pour explorer les profondeurs abyssales du vodou.
D’une page à l’autre de « Tante Résia et les dieux », Yanick Lahens nous convie à nous réapproprier nos valeurs ancestrales qui, de nos jours, sont obscurcies par l’assaut vorace du protestantisme et du rationalisme cartésien. Une telle déviation de l’héritage de nos ancêtres n’est qu’une forme de zombification subtile. Elégant déracinement et vampirisme séduisant. « … tante Résia m’exhorta à prolonger mon séjour à l’Acul pour assister à un rituel pour les ancêtres de la famille. » Suite à cette proposition, tante Résia s’est même fait l’incarnation du syncrétisme catholico-vodou pour acquérir la grâce des saints et celle des loas. « Le premier étage de la maison de Résia Vilmont à l’Acul comptait deux chambres où brillait sous l’image de la Vierge une lampe éternelle pour protection contre les malheurs et les tourments… »
La nouvelliste Yanick Lahens nous communique subtilement au fil des lignes l’aspect caché de certains instruments en pleine cérémonie vodou. « À mesure que nous avancions, les roulements de tambours et l’appel des conques de lambi devenaient plus précis. » Entendons par usage de ses éléments sacrés une invitation à l’âme nègre épuisée par les détours de la vie pour retourner à sa source ( Nan Ginen ) afin d’être rechargée. Tambours, conques de lambi, cloche ou asson, tous, leurs sons résonnent comme un appel aux entités des univers parallèles pour venir à notre aide.
Les six nouvelles de « Tante Résia et les dieux » se veulent une mise en relief de la sacralité de la danse folklorique rimant au rythme du cosmos. « En dansant, tante Résia semblait effleurer le sol. Ses pieds soulevaient à peine la poussière… Chacun de ses gestes dessinait une arabesque dans l’air. C’était un papillon de nuit, une grosse fleur aérienne, presque irréelle. » Au cours de cette cérémonie, rien n’est beau que de contempler l’agilité du corps de cette merveilleuse danseuse en synergie avec la grande chorégraphie de l’univers. De la danse des particules de l’infiniment petit à celle des astres de l’infiniment grand se déploie la chorégraphie de tante Résia comme un tour de magie. Cette dimension que dévoile la danse de tante Résia, serait-elle une représentation du monde disant que tout vibre et que toute vibration n’est que danse ?
Le génie littéraire de Yanick Lahens expose aussi le symbolisme cosmogonico-ésotérique des quatre éléments de la nature. « Il parla à la terre, à l’eau, au feu, au ciel. » Cette configuration, fil de la trame incontournable du tissu des sciences occultes, indique l’ouverture des portails interdimentionnels des quatre points cardinaux. La communication du « pè savann » est une prise de contact avec les élémentaux tels les gnomes, les ondines, les salamandres et les elfes. En outre, l’auteure mise sur la trilogie humaine à travers les bougies allumées. « Les bougies scintillaient sur les vèvès disposés symétriquement de chaque côté. » En observant les vèvès comme étant des écritures magiques nous liant aux esprits, on peut voir également dans les chandelles allumées leurs corps qui représentent celui de l’homme, leurs fils, son esprit et leurs flammes, son âme. Ce qui implique, au moment du rituel, la présence intégrale de l’homme dans les autres dimensions.
L’importance du culte des morts serait l’axe central de « Tante Résia et les dieux ». Point crucial pour tout vodouisant. « Tante Résia avait projeté en l’honneur de tous ses parents morts il y a moins d’un demi-siècle un dènye priyè, une cérémonie pour faciliter le passage de leur âme vers l’autre monde. » Ces paroles de l’auteure trouvent leur écho dans le « Bardo-Thödol », le livre tibétain des morts et le Livre des morts des Égyptiens. Le « boule zen » comme rite funéraire dans le vodou aide le défunt autant à se défaire des attachements terrestres qu’à s’orienter dans l’au-delà. Ce rituel ne serait qu’un acte d’amour et de gratitude de tante Résia à ses ancêtres demeurant à jamais dans son cœur. Une offrande d’amour est aussi ce petit chez d’œuvre de Yanick Lahens à ses lecteurs.