Règ jwèt la
Par Bonel Auguste
Le National, 7 août 2019
Depuis la publication de Dyakout 1 de Félix Morisseau Leroy en 1953, la poésie d’expression créole ne cesse de montrer sa vitalité, en bousculant les limites, en empruntant différentes voies. On se rappelle les expérimentations de Castera dans Konbèlann publié en 1976 où l’auteur exploite de nombreux acquis de la poésie moderne. De nouveaux poètes dans la continuité ou dans la rupture essaient de se forger une singularité. La poésie en créole s’écrit beaucoup et adopte diverses formes. Tel n’est pas le cas pour le récit d’expression créole. Il est vrai que depuis la publication de Dezafi de Frankétienne en 1975, qui inscrit le récit en créole dans la modernité, on trouve des textes de qualité. Mais le corpus est mince et l’exploration des formes n’est ni aussi diversifiée, ni aussi audacieuse que celle qui s’offre à nous dans l’écriture du récit en français.
Règ jwèt la que vient de publier Rodolphe Mathurin aux éditions Lafimen, se trouve dans la lignée de ces quelques récits en créole tentant la recherche formelle. Règ jwèt la est un texte à caractère minimaliste, pas seulement par sa brièveté, mais aussi par la réduction stricte des actions, des descriptions, la juxtaposition de quelques scènes succinctes dont la transition s’assure par un mot, ou une courte phrase. Pourtant, le texte ne s’y enlise, ces procédés donnent plus de vivacité et de pertinence au propos politique et idéologique qu’il porte.
Il s’agit d’un récit mettant en scène la double exploitation que subissent des femmes issues de quartiers populaires, qui trient le café dans une usine. Triyèz kafe. Elles sont sous-payées et abusées sexuellement par le patron qui exerce toutes sortes de pressions sur elles pour qu’elles se fassent avorter, si elles tombent enceintes. Parmi elles, Jilyèn déjà mère, très pauvre habitant un taudis. Mais, elle, elle décide de porter l’enfant. Malgré les menaces du patron, elle lui tient tête par la crainte de Dieu. Et sa vie va basculer, laissant derrière elle un fils aux cheveux bouclés sombrant dans la folie. Le fils du patron propriétaire, Danpèd, un syrien, partisan de la dictature qui torture des opposants de ses propres mains, à l’intérieur même de l’usine peinturée en jaune.
Pou tout zòn nan soti bò Fedèm nan kouri sou tout Bisantnè a epi remonte nan ri Sentonore, vire kwaze devan Lopitaljeneral pou jis nou ta tonbe ateri nan kafou Titis la, zòn kay ansyen Towo sa a yo te rele Andre Jis la… Li te klè sa pa te dwe janm pase konsa … Se kòmkidire se yon java tout moun konsidere tankou yon maling pèsonèl men ki anmenmtan ap degaje lodè anndan kay chak moun e ki gaye vè nan sèvo chak pitit yo de jenerasyon an jenerasyon
Règ jwèt la, un récit concis, mais refusant la paresse et la facilité, polissant ses stratégies, convient mieux peut-être à l’effet coup de point que voulait produire l’auteur. Un texte limpide, condensé et poignant qui évite de creuser la psychologie des personnages pour créer le non-dit et un sous-texte que le lecteur doit fouiller lui-même à la recherche de plus de sens. Moins, c’est plus comme le voulaient des praticiens de l’art minimal : Brancusi, Giacometti, Malevitch… Rodolphe Mathurin, professeur de mathématiques renommé, semble s’approprier leur formule pour nous offrir ce texte qui se veut l’expression d’une esthétique de la condensation.