Propos et poème d’Anthony Phelps
Janvier 2020
Cher Georges des souvenirs me reviennent… L’écho de tes poèmes lors des jeudi magiques de Bateau fou. Tes poèmes coquins, en créole, que tu lisais si bien, avaient beaucoup de succès… Tous ces après midis d’échanges sous les arbres, chez moi a Pétionville quand tu montais la côte…
C’est toi qui m’as suggéré de faire des dessins pour accompagner mes poèmes. J’en ai fait des dessins poèmes.
J’ai eu aussi le plaisir de faire la narration du film L’homme qui plantait des arbres, de Giono dont tu as admirablement bien rendu en créole toute la poésie.
Tu m’as fait cadeau de ton amitié. Tu nous laisses en testament une oeuvre remarquable, que nous maintiendrons bien vivante. Bonne route, pèlerin.
Qui dira le poème,
coeur cassé
L’Horloge du rêve s’est arrêtée.
Au jeu de quilles du temps
la poésie parfois est orpheline.
(Anthony Phelps, Montréal, 31 janvier 2020)
Homme empreinte
Par Anthony Phelps
Extrait tiré du recueil « Une plage intemporelle »
Montréal, 2010
Reproduit en janvier 2020
Homme empreinte, tu circules entre édifices sonores dans le libre jeu
des espaces et des collections, vantant le temps métis des crépuscules.
La mer plus jamais a ta droite, plus jamais a ta gauche. Nulle montagne
pour lancer ton regard comme fusée.
Dans les couloirs des édifices ta main bat lente mesure de mer absente. Par l’indulgence du vent tu flottes sur de géométriques motifs de primitifs : carrés triangles bâtons et cercles.
Le Poème se construit hors de toi. Ne prétends pas piéger son alchimie inaccessible découverte…
Par les boulevards de l’écriture, entre parfums et somnolence, tu clames l’errance de toute conjugaison, fredonnes une même rengaine en bordure des routes, le long des signes de pistes où se lève un surcroît de visages accrochés sur la bretelle de l’absence.
Tant d’années où tel geste tel cillement réactivaient nos lignes de chance, tant d’années effritées.
Quand ton regard s’échappe de ta mémoire, insaisissable tel l’éclair, profil squelette la nuit se rhabille de ton enfance d’innocentes structures te travaillent.
Bien au delà de tous les lendemains et des faux incendies des couchers du soleil tu te projettes dans l’écartement des persiennes, monologuant sous la lune, le rire bouffon et jaune. Dans ta paume la géographie d’une terre qui te tire son chapeau te fait un pied de nez.
Ah Homme empreinte, l’horizon t’attire, jamais ne t’atteindra…
Réminiscence. Toucher et goût parfum d’outre frontière. Rappels de nuits mouillées, du verre de rhum qui fait valser les écritures, de la vibrante toupie qui chante dans le cercle un dégradé de sons. Et la main du peintre colore les versants de nos rêves…
Loin des éternuements tu circules le cœur blessé brisé de tant de lunes liquidées au rabais. Bègue, zozotant dans la brume quel plâtre réduira ta fracture amoureuse. Tu ne seras jamais la pièce manquante de quiconque.
Hypocrite l’eau bouge lente. Sous le tremblement des vivants la terre se délite dans ton tiers d’île déboussolée. Quelle voix se fait prendre au trébuchet de la mémoire ? Dans l’indolence du vent d’ouest tangue une parole blessée. La mer ventriloque nous râpe toutes certitudes.
Qui dira le poème cœur cassé ? L’horloge du rêve s’est arrêtée. Au jeu de quilles du temps la poésie parfois est orpheline.
Homme empreinte respectueux tel un moine bouddhiste, tu occupes ton banc dans le jardin des souvenirs où les mains du silence dessinent de grands oiseaux voleurs des grains de sable de nos rêves.
Homme empreinte, tu es ta propre horloge doigts en faisceau pointés vers ciel variable ou les étoiles ne sont que les yeux de cyniques cyclopes qui nous observent dans la descente des heures.
Sous la pierre plate nos mots se reposeront et nous avec imaginaires sans cesse en mutation.
Homme empreinte point ne vieillissent les yeux du cœur. Entre tes doigts tu fais crisser la rouille du passé taraudante oxydation de la mémoire de tes jadis. Térébrante présence de durs vocables dans l’épaisseur du temps.
Braconnier subreptice solitaire tu tends la soie de ta tendresse où sereine se repose sereine se ravive la saison des ellipses.
Aujourd’hui le temps s’échappe de tes doigts et tu mimes un poeme éclaté sans signature dans les vapeurs de l’aube. Sous le dessin de l’écriture Homme empreinte tu cries en muet un long poème inachevé.