Ma ville retrouvée
Par Gérald Bloncourt
Port-au-Prince, décembre 1986
J’ai retrouvé Port-au-Prince
dans le même sanglot où je l’avais quitté
J’ai retrouvé ma ville
ses détails géographiques
ses maisons centenaires
ses espaces citadins du centre
Seuls les abords ont démesurément grandi
gonflé comme le ventre d’un enfant malade
Immense bidonville aux tuiles-ferblancs-rouillés
à l’infini
visions dantesques d’un cauchemar quotidien
Le morne l’Hôpital est blessé
d’un triste amas de pauvres masures
Le Champs-de-Mars a des rides
et la misère cogne les visages d’enfants
matraque celui des femmes
et ferme ceux des hommes
Visages graves
sans sourire
inquiets
anxieux. ..
Port-au-Prince
mon Port-au-Prince
tu es fatigué
épuisé voûté
Mais ce sont pourtant
les odeurs de ma jeunesse
de mes espoirs
Tout ce que j’avais imaginé
je l’ai retrouvé
Tout ce que j’avais pensé
construit en moi
au travers des informations
venues du coeur de la terreur
et des luttes pour la liberté
je l’ai retrouvé
Qui a dit que je serais déçu
que je ne comprendrais pas
Vils colporteurs des défaites de l’amour !
Merde à eux
idéologues négatifs
traîtres aux déchirures de l’âme!
Oui
j’ai revu mon sol
ma patrie et ses arbres
Le premier à recevoir mon baiser
fût ce chêne au feuillage touffu
poussé là
à Delmas
Il a bougé dans le ciel
dès que je l’eus touché
et j’ai senti au fond de moi
que ses racine étaient miennes
J’ai compté les étoiles
puis j’ai cueilli une fleur
elle était jaune pâle
comme quelquefois le sourire de ma fille Ludmilla
aussi fragile que ses deux ans
J’ai parlé à un chien noir et maigre
qui a semblé me reconnaître
Mes pieds ont aimé cette terre
qui effaçait l’exil
J’ai mesuré l’ampleur de ce moment d’Histoire
Je sais bien qu’il est l’heure des défaites possibles
mais c’est tellement l’heure de la vraie Liberté
l’heure à tout faire par tous
pour sauver l’essentiel
l’heure responsable et grave
pour chacun d’entre nous…
En ce qui me concerne
j’ai remis ma vie à l’heure de ton destin
Port-au-Prince
ma ville retrouvée…