« La couturière de Martissant » une symphonie triste, de paix éphémère et d’amour
Par Gelin G.-Hugh
Le Nouvelliste, 17 juin 2019
Activiste culturel évoluant sur la scène artistique depuis un moment, Ronald C. Paul est à son troisième roman. « La couturière de Martissant », lauréat du prix Deschamps 2018, se déroule dans le Port-au-Prince des années 50-55 jusqu’après la chute de la dictature des Duvalier. À travers ces quelques pages, l’auteur nous emporte dans une complexité de l’amour, du hasard qui ne fait pas toujours bien les choses.
Ronald C. Paul, né en 1957, psychologue de formation, fonctionnaire au ministère de la Culture, promoteur du livre et de la lecture, s’investit totalement et depuis longtemps à la chose culturelle, artistique, et intellectuelle. Il a déjà écrit en collaboration un livre qui sert de plaidoirie à l’enseignement du patrimoine culturel haïtien dans notre système scolaire. Il est aussi co-auteur d’un film sur la peinture du Nord d’Haïti. Son premier roman, Les enfants des cyclones, a reçu le prix Ethiophile en 2015. Son troisième roman, son dernier en date, a reçu l’année dernière le prix Deschamps. Publié aux éditions Henry Deschamps en Décembre 2018, ce long roman n’arrête pas de poursuivre son petit-bonhomme de chemin multipliant vente-signature sur vente-signature. Depuis, il n’arrête pas de nous bouleverser par son histoire d’une fascination qui a transformé le quotidien en geste d’exploit, de gloire et de honte.
Le décor de cette histoire faite de symphonie triste, de paix éphémère, d’amour violent, et de vie tumultueuse, est placé à la rue Macajoux avant d’être déplacé vers Martissant où Gisèle dans le silence de ses actes passés ne pourra plus pousser un grand cri sauvage de femme.
Gisèle, cette femme qui part contre son gré pour Port-au-Prince parce que son mari, Nelson, croit que leur fils, Claude, doit poursuivre ses études. En venant dans cette ville de tous les dangers, cette femme a découvert une ville faite de bruits, de couleurs qui contrastent avec le silence de sa ville à elle, Gonaïves :
« Et puis, peu à peu, plus de couleurs, plus de bruits. Le bus s’est arrêté. Plus de tout. Nous sommes arrivés. Crue réalité qui me coupe en deux. Adieu Gonaïves !
Port-au-Prince est la ville de tous les dangers, de tous les plaisirs, de toutes les solitudes aussi. (Page 12) »
À travers ces lignes où se déroulent comme dans un film quelques pages de notre histoire nationale de peuple, le sang a coulé. Trop coulé. Il y a les années où Port-au-Prince était encore jeune fille, avec des fleurs partout dans ses rues, sa place d’Italie pour les promeneurs, son Bicentenaire pour les touristes. La dictature. Les menaces, les portés-disparus, les pleurs, les morts, et les prisons. Ce roman est une réussite polyphonique. Pour placer dans le silence d’une femme qui a été lapidé par des yeux pour avoir trompé son mari avec pour seul témoin sa machine à coudre. Pour avoir fui la symphonie de la rue Macajoux. Pour ne plus être digne de voir son homme en prison. Pour avoir la honte dans les yeux à ne plus être capable de pleurer, même la mort de son fils. Pour cette écriture simple et fluide. Ce roman est ce qu’il est : quelques pages d’histoire et d’amour violent qui place sur une même ligne de mire nos cœurs et l’émotion des personnages.