Adieux, doyen
Par Anthony Phelps
Revue Rencontren° 30
Port-au-Prince, janvier 2014
Le 27 mai 2013 disparaissait, à Montréal, le doyen des poètes haïtiens, Raymond Chassage
Au cours de la cérémonie des funérailles, qui ont eu lieu à Saint Lambert,sa ville d’exil, le 1er juin, j’ai tenuà saluer le départ d’un ami, d’un poète, d’un éducateur.
Avec Gary Klang, nous avions l’habitude tous les trois, de déjeuner ensemble,de temps à autre. Raymond nous parlait de ses projets d’écriture. Au cours denotre dernier repas, il nous avait appris qu’il préparait un séjour en France. Il ne cachait pas la joie que lui procurait ce projet de voyage.
Mon amitiéavec Raymond remonte aux années 70
Raymond et Michelle sa femme, avaient décidé de mettre fin à leur séjouraux États-Unis et de s’instal- ler à Montréal. Lors d’une rencontre chez desamis communs, Raymond me promit de m’envoyer un manuscrit de ses poèmes. J’aiaimé sa poésie et ai décidé tout de suite de la mettre sur disque. Ce fut ledépart d’une grande amitié. Il allait devenir l’un de mes compagnons d’exil.
Né le 13 février 1924 à Jérémie (Haïti), Raymond Chassagne était un ancien officier de l’Armée. Après unprocès politique suivi d’une incarcération de neuf mois, dans les prisons dudictateur François Duva- lier, Raymond est obligé de s’exiler avec sa famille.
De 1959 à 1966, les Chassagne séjournent aux États-Unis, puis s’installentà Montréal. Raymond s’inscrit à l’Université Mc Gill où il obtient un diplôme de maîtrise en 1975, avec un mémoire portantsur l’œuvre poétique d’Aimé Césaire.
Il poursuit ses études à l’Université de Montréal, prépare une thèse dedoctorat sur l’œuvre d’Édouard Glissant. Au Québec, Michelle va enseignerl’anglais et Raymond la littérature, jusqu’au retour du couple en Haïti, en1979.
Le retour enHaïti
À partir des années 1980, Raymond Chassagne va dispenser des cours delittérature et de méthodologie à l’Université d’État d’Haïti. Je devais le retrouver durant un long séjour que j’ai fait en Haïti, après le départ du petit dictateur.
Avec Syto Cavé nous avons organisé des séries de rencontres poétiques, chezles Chassagne et surtout à Batofou, le restaurant des frères Cavé, où le jeudisoir il y avait une lecture de poésie, à laquelle Raymond participait.
Ces rencontres poétiques allaient être interrompues par une succession de coups d’État,d’attaques de zenglendos et autres criminels.
Les Chassagne vont s’installer dans le Sud, à Port-Salut, où Raymondpoursuit son métier d’éducateur, il monte une bibliothèque, donne desconférences et fait des ateliers avec les jeunes de la région.
Michelle y écrira son recueil de nouvelles Contes des mille et un jours, qui obtiendra le Prix Henri Deschampsen 2006.
Nous avons gardé le contact par lettres et en 2007, pour différentes raisons: insécurité, menaces, Michelle, Raymond et leur fille Karine, quittentPort-Salut pour Montréal.
J’allaisretrouver mon compagnon d’exil…
Négocient l’oblique virage de la parole. Par certains soirs d’automnecoupant, quand la nuit à peine se défait de ses bandelettes, un souffleétrange, ébéniste, réveille les eaux dormantes des femmes. Au brusque dérobé deleur hanche, leur rondeur impatiente se soulève, éclate en mystérieuse extase.Par certains soirs d’automne cuivré, les corps lumineux des poètes trépassésréapparaissent, magiciens du désir, libérateurs du chant des coquillages.
En conclusion, le poème le plus connu de Raymond Chassage…
L’homme et sapassion
Poète et essayiste, Raymond Chassagne est l’auteur d’une œuvre de hautequalité, qui va de la prose analytique à l’écriture poétique. Sa passion a étéson pays, comme l’a souligné Rodney Saint-Éloi, son éditeur à Montréal.
J’ai eu le plaisir d’enregistrer trois disques avec ses poèmes, le dernier,avec la participation de son fils Boris. L’écriture a permis à Raymond decombler un peu le grand vide créé par la disparition de Michelle. Iltravaillait à un nouveau recueil de poèmes ainsi qu’à des essais qui luitenaient à cœur.
On a pu voir Raymond Chassagne, à Montréal, au Centre N A Rive où il étaitl’invité d’honneur à la Journée du livre haïtien le 18 août 2012, ainsi qu’à lalibrairie Zone libre le 27 octobre 2012, où il lançait son recueil Éloge du paladin. Son fils Boris lui arendu, en ces deux occasions, un vibrant hommage.
Du poète Josaphat Large, qui se trouvait en Haïti j’ai reçu le messagesuivant pour Raymond :
« Mon cher cousin Raymond, je me rends à Jérémie où graver ton nom sur « LeRocher des Poètes », entre celui de ton frère Roland et celui du poète EtzerVilaire. Le « Nordé » de la Grande Anse se chargera ensuite de semer tes beauxvers le long des lignes de l’Anse-d’Azur. Bobisson »
J’ai terminé mon salut à Raymond Chassagne par la lecture de deux poèmes,d’abord : Magiciens, poème écrit pourmes poètes décédés, et que malheureusement l’ai lu un peu trop souvent,beaucoup de poètes nous ont quitté.
Magiciens
Par certains soirs d’automnecuivré, les corps lumineux des poètes trépassés, réapparaissent baroques, nus,limpides. Miroirs du secret des tombes, mages et magiciens de nuages, dans leverger des glaces et du pourpre, ils se cherchent un écho à leur verbealchimiste. Étoiles solitaires, dans leur insomniaque vérité, leurs mouvementsdésentravés négocient l’oblique virage de laparole. Par certains soirs d’automne coupant, quand la nuit à peine se défaitde ses bandelettes, un souffle étrange, ébéniste,
réveille les eaux dormantes des femmes. Au brusque dérobé de leur hanche,
leur rondeur impatiente se soulève, éclate en mystérieuse extase.
Par certains soirs d’automne cuivré, les corps lumineux des poètestrépassés réapparaissent, magiciens du désir, libérateurs du chant descoquillages.
réveille les eaux dormantes des femmes. Au brusque dérobé de leur hanche,
leur rondeur impatiente se soulève, éclate en mystérieuse extase.
Par certains soirs d’automne cuivré, les corps lumineux des poètestrépassés réapparaissent, magiciens du désir, libérateurs du chant descoquillages.
Enconclusion, le poème le plus connu de Raymond Chassagne :
Blues à Madame
Danserce blues avec vous Madame, la terre arrêterait ses horreurs de gloire le sangles prisons les naufrages le pain qui jamais pour tous ne fut quotidien lescombats sans lendemain et les chagrins qu’on oublie dans la cendre.
Danserce blues avec vous, madame, s’épuise un aveu en la fumée d’un soir de grâce lemonde est plein de combats inutiles; madame la terre est injuste la terre estinquiète, la terre est malade et devant que meurent les grands soirs rouges enle regard voilé des cadavres et leurs questions immobiles vous seriez dans mesbras l’illusoire et l’instant sortis de toutes les langues du monde par quoil’homme étreint des bonheurs de faïence qui jamais ne furent ; et s’il fautqu’amertume et douceur se confondent au moins guérirait une blessure ce soir-là si vous dansiez ce blues avec moi madame, le temps d’un rêve à faire.