Fortenel Thélusma, tout le plaisir de rêver pour un poète
Par Webert Pierre-Louis
Le Nouvelliste, septembre 2020
Pourquoi le poète Fortenel Thélusma se plaint-il de rêver ? Il a publié en février de l’année 2020, à compte d’auteur, un recueil de poésie au titre explicite « Je me plains de rêver ». Et c’est parce que précisément le titre est clair qu’il soulève l’interrogation du lecteur.
L’univers onirique est la voie royale qui mène le poète à découvrir la psyché, son inconscient et ses contenus. Le rêve a toujours été une source pour ces ouvriers de l’imaginaire qui ont le don de se consacrer une éternité au fond de la mine pour extraire parfois des pépites de douleur.
Les événements de la vie ont des résonnances fracassantes dans l’âme du poète. Son témoignage palpite comme un coeur qu’on afflige. En décembre de l’année 2010, un cancer impitoyable emporte la mère du poète. « Elle a dépéri comme une feuille sèche », écrit-il dans (Pour ma mère-amour).
« La vie est injuste.
Car la vie ôte la vie
A celles qui donnent la vie.
Elle est criminelle
Car elle torture les femmes innocentes.
Elle est sans états d’âme
Car elle fait souffrir les âmes les plus sensibles.
Une mère éloignée de ses enfants
Est une âme en exil
Détachée de son corps.
Autant elle souffrait de l’absence
Des fruits de son corps.
Autant elle jouissait en vacances
De leur présence.
Durant les périodes de violence
A Port-au-Prince
Seul son corps vivait »
L’énergie émotive du poète
L’émotion que transpire le poème (Pour ma mère-amour) de Thélusma parle. Elle donne une information sur la situation dans laquelle est plongée son moi intérieur. Il ne s’attendait pas à ce que cette femme-potomitan qui paraissait si pleine de vigueur soit emportée en l’espace de six mois par un cancer. Depuis, il porte le deuil de sa mère comme un éternel orphelin sur terre.
Après ce morceau qui inspire de la compassion envers cette âme en peine, le recueil véhicule d’autres énergies, d’autres couleurs d’émotion qui varie d’une intensité à l’échelle du plaisir et du rêve.
Dans un poème titré « Je rêve », des images oniriques se bousculent dans la tête du rêveur qui se délecte de son rêve à partager. Pour garder une trace dans ses souvenirs, il le cristallise ici :
« Je rêve qu’un jour je m’abreuve
Dans la source intarissable de tes lèvres!
Je rêve que mon image réelle
Et le lit de ton corps s’épousent !
Je rêve que ton être tout entier
Soit allumé par le flambeau de mon amour. (Je rêve)
Le même écho troublant, libidineux s’infiltre par tous les pores de ce texte qui invite à s’extasier de rêver :
« Mon esprit vagabond
Avec ou sans raison
S’exile de temps en temps,
La nuit, dans un sommeil profond,
En compagnie de jolies femmes
Jamais connues ou rencontrées
Auparavant
Dans ma vie d’homme.
Ambiance festive surréaliste.
Exposé de discours romantiques
Suivis d’ébats aromatiques.
Ivresse psyschosomatique.
Abondance de plaisir dans le rêve,
Symptôme d’amour infini
Jamais vécu.
Ainsi en est-il d’un esprit mouvant
Dans un corps reposant. » (Illusion d’amitié)
Fortenel Thélusma aime aimer de coeur et de corps. Et c’est le festin du corps qui le rend ivre :
« Ce soir
Dans mon lit
Viens, viens.
Ils sont si forts, mon lien
Et le tien!
Oh! La vie!
Tu cries!
(…)
Tes doux reins
Ah! Tes mains
Tes yeux clair de lune
Tout en toi
Est sans prix
Et moi je suis pris
Dans ce doux feu
Que je veux
Sans fin. » (Viens me voir ce soir)
La même démarche rythme « Je me plains de rêver ». De douces plaintes, de doux gémissements envahissent le ciel du plaisir poétique de l’auteur. C’est un Fortenel Thélusma au sommet du bonheur qui salue le plaisir d’aimer.
« J’aimerais que tu sois l’étoile qui brille
Dans mon ciel grisâtre,
La nourriture à ma faim d’amour.
Tes rondes lèvres, la source d’altération
À ma soif de toujours.
(…)
Je pousse des cris en do
Des cris de mule,
Des cris en si
Des cris si mule,
Dans cris si âne,
Espérant que ton âme
Ne se transformera pas en pierre,
L’ouïe du coeur ne devant pas être sourde
À un amour si sonore
Et si sincère. » (Rêve d’amour)
Loin d’être des pages de lamentations, ce recueil est un jardin de jouissance, un hymne au doux plaisir de rêver. Notons que Fortenel Thélusma, l’auteur de « Je me plains de rêver », est enseignant-chercheur, il enseigne le français et la linguistique à l’École normale supérieure de l’Université d’État d’Haïti. Également élaborateur de manuels scolaires, il a publié un ouvrage qui retient l’attention : « Mon nouveau manuel de lecture français / Compréhension et production écrites » (C3 Éditions, 2018). Dans ce livre, deux textes de Claude Bernard Sérant (Panique en plein vol) et (Ti Amélie, témoin privilégié de grands drames à Jérémie) sont outillés didactiquement pour permettre au petit écolier haïtien de la 9e année fondamentale de goûter au texte.