Livres
Haïti : une vie éditoriale dynamique
Revue eKarbe
31 janvier 2016
Le 20 janvier 2016], l’association Haïti Mémoire et Culture ainvité Sylvie Brodziak, docteure en langue et littérature françaises [àprononcer à Paris une conférence exposant le « Panoramade la littérature haïtienne contemporaine ». Le panorama (…) qu’elle a dressé a permis auxparticipants de constater la richesse en qualité et en nombre despublications venues d’Haïti.
Chaque année,depuis plusieurs générations, la littérature haïtienne garnit les rayons deslibrairies et les étagères des bibliothèques. La présentation faite par SylvieBrodziak a mis en évidence le dynamisme de la vie éditoriale haïtienne émanantde l’intérieur du pays comme de sa diaspora. Une forte activité créatrice quientretient aujourd’hui la passion pour la littérature dans ce pays de laCaraïbe.
De façon trèsefficace, l’universitaire, qui s’intéresse notamment aux littératuresfrancophones, a tout d’abord passé en revue les différentes générations d’écrivainsqui ont posé les bases du succès de cette littérature.
La paysage qu’elledécrit va de la première génération qui prenait la littérature française enmodèle sans s’arrêter sur la réalité haïtienne, à celle qui s’est ensuiteappliquée à « brunir la langue française » avec pour motd’ordre celui d’Emile Nau du « soyons nous-même ». Il comprendaussi le tournant voulu par une troisième génération d’écrivains (lesromanciers réalistes) du 19e siècle, celle qui a entrepris de prendre de ladistance avec la littérature française jusqu’à celles qui « se libèrentdu carcan des modèles » et prend en compte l’histoire et la mémoired’Haïti avec des publications qui deviennent des inévitables de la littératurecomme le Gouverneur de la Rosée (Jacques Roumain, 1944). Forcément, lapériode duvaliériste et les nombreux auteurs qu’ont fait naître cette périodetrouble n’ont pas manqué d’être évoqués, notamment avec le réalisme merveilleuxqui explique « l’entrée importante de l’imaginaire dans la littératurehaïtienne », jusqu’au plus récent Frankétienne et son mouvement duspiralisme qui « ne plagie rien d’autre que l’œuvre enmouvement », explique Sylvie Wozniack. L’universitaire, en abordantcette suite de mouvements et de préceptes de la littérature haïtienne, a mis enexergue les combats menés par le biais de la littérature par des dizainesd’écrivains épris de belle langue et de culture.
La littératurehaïtienne n’est pas uniquement le fait des auteurs qui vivent en Haïti etSylvie Brodziak d’évoquer aussi « une littérature migrante »notamment le fait d’hommes et femmes de lettres basés principalement au Québec.Ceux-là tiennent aussi un rôle important dans une littérature qu’elle considèrecomme « l’une des plus riche et des plus importante au monde. Une littératuredu quotidien, qui raconte des histoires et qui nous permet de rencontrerl’autre. Une littérature qui sait hurler… La plus vivante à l’heureactuelle ».
Un panoramachronologique éloquent
Dans un exposéchronologique concis, Sylvie Brodziak fait apparaître la densité d’unelittérature qui se renouvelle sans cesse et qui peut par exemple trouver uneimpulsion nouvelle ou matière à se réinventer au lendemain d’un séisme commecelui qu’a connu Haïti en janvier 2010.
Pour peindre letableau de la littérature contemporaine, Sylvie Brodziak, dont l’intérêt porteégalement sur la création littéraire après les grandes catastrophes historiqueset naturelles, commence par introduire dans son paysage un René Depestre (Alléluiapour une femme-jardin, 1981) que ses écrits classe à la page de« l’érotisme solaire ».
La mise en placed’un riche inventaire se poursuit à travers un exposé passionnant despersonnalités qui portent haut la littérature haïtienne et caribéenne dans lemonde. De Gary Victor et « son écriture désabusée » à la « littératurehaïtienne du dehors » représentée notamment par l’académicien DanyLaferrière, la conférence était l’occasion de percevoir toutes les variationsdu monde littéraire francophone haïtien porté par les romanciers. Parmi eux,Jean-Claude Fignolé et ses mondes merveilleux (Les Possédés de la pleinelune, 1987) ; Kettly Mars et son écriture engagée (Saisons sauvages,2010) ; Lyonel Trouillot qui « sait raconter des histoires , qui al’art des formules et des titres… Un magicien de l’écriture » ; YanickLahens « qui fait triompher la littérature au féminin » (Guillaumeet Nathalie, 2013) ; et biens d’autres plumes.
Sylvie Brodziak aégalement mis en lumière la vitalité de la poésie, qui elle aussi reste trèsvivante. Le genre poursuit son histoire commencée depuis des années avec lepays à travers les mots d’Anthony Phelps, de Rodney Saint-Eloi ou encore deDominique Battraville.
Une fois démontréle foisonnement des littératures sur une terre qui voit chaque année apparaîtrede nouveaux auteurs, il reste à s’interroger sur ce qui permet un telbouillonnement et dire comment il est possible d’être Haïtien et écrivain.Sylvie Brodziak trouve la réponse dans les mots de Lyonel Trouillot qui voitdans la littérature « le lieu d’exploration de son propre rapport à laliberté ». Il l’explique dans une entrevue citée en conclusion de laconférence : « Je suis écrivain. Être écrivain, c’est, comme je ledisais, être dans ce rapport avec soi-même et avec le langage. Je suis Haïtien.L’un n’empêche pas l’autre et je vis les deux de manière asseztranquille » (Source : entretien avec Guy Tegomo).
Dequoi convaincre que le tableau dressé lors de la conférence peut encores’enrichir de nombreux portraits, notamment tous ceux d’expressions anglophonesqui offrent une place de choix à la littérature haïtienne en Amérique du nord.Si toutefois, comme le romancier et poète haïtien Lyonel Trouillot, qui occupeune place importante dans la littérature francophone contemporaine, faire rimerHaïti et écriture peut continuer à se vivre paisiblement, pour le plus grandbonheur des lecteurs.
Source :revue eKarbe