Les pièces au dossier
- Article de Louis Naud Pierre, « Haïti, perspectives de sortie de crise durable », paru en Haïti le 3 août 2022 dans Le Nouvelliste.
- Courriel du 4 août 2022 de Robert Berrouët-Oriol, « Remarquable article de Louis Naud Pierre : « Haïti, perspectives de sortie de crise durable »
Bonjour de Montréal.
Je signale à votre attention un article fort intéressant du sociologue Louis Naud Pierre, « Haïti, perspectives de sortie de crise durable » paru en Haïti le 3 août 2022 dans Le Nouvelliste.
Cet article est remarquable en raison de ce qu’il révèle, de ce qu’il oblitère, travestit et cache délibérément, et également en raison de son dispositif narratif qui vise à « anesthésier » le regard critique et citoyen au moyen d’un discours académique à dessein désincarné, sans prise réelle avec le mode d’intervention des « acteurs nationaux » dont il signale l’existence de manière toute virtuelle : « La crise haïtienne est le basculement dans le chaos » écrit-il.
Il y a lieu de rappeler que Louis Naud Pierre est une figure intellectuelle de premier plan du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste au pouvoir en Haïti depuis onze ans. À l’instar des intellectuels au service de la dictature des Duvalier –les frères Paul et Jules Blanchet, l’autoproclamé « historien » Rony Gilot, laudateur de la dictature duvaliériste, l’idéologue noiriste-raciste René Piquion, le proto-nazi Gérard de Catalogne, admirateur de Pétain et de Maurras et responsable éditorial des « Œuvres essentielles » de François Duvalier, etc.–, Louis Naud Pierre est en mission commandée pour le cartel politico-mafieux du PHTK. Au sein d’une petite coterie d’« experts constitutionnalistes » baptisée « Comité consultatif indépendant », il est le principal rédacteur de la nouvelle « Constitution » de janvier 2021 que le PHTK a voulu, en vain, faire adopter par un référendum illégal, annoncé, mais qui n’a pas été tenu. Le « Comité consultatif indépendant », nommé par le décret présidentiel du 28 octobre 2020, comprend l’ancien président Boniface Alexandre, le général retraité Hérard Abraham, Mona Jean, Jean Emmanuel Eloi et Louis Naud Pierre. L’« expert constitutionnaliste » Louis Naud Pierre, au sein du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste, côtoie Fritz Dorvilier nommé consul général d’Haïti à Montréal, ainsi que l’historien Wien Weibert Arthus, nommé ambassadeur d’Haïti à Ottawa, lui aussi « pour services rendus »…
Je recommande de mettre en perspective l’article de Louis Naud Pierre au creux des contributions analytiques de Frédéric Thomas, enseignant-chercheur au CETRI de l’Université de Louvain. Frédéric Thomas est l’auteur de divers ouvrages, dont « L’échec humanitaire, le cashaïtien » (éditions Couleur livres, 2012), ainsi que de nombreux articles sur Haïti :
–« Haïti : l’aveuglement international », CETRI, 10 mai 2022.
–« Haïti, l’imposture humanitaire », Le Monde diplomatique, novembre 2016.
–« La solution doit venir des Haïtiens », entretien de Frédéric Thomas, Vatican News, 12 juillet 2021.
–« Haïti : le temps de la rupture », revue Relations, Centre justice et foi, Montréal, printemps 2022.
–« Haïti : la crise au prisme d’un autre regard », La Revue nouvelle 2021/4 (N° 4).
Voir aussi :
–L’entretien accordé au Nouvelliste le 19 mai 2021 par le sociologue et historien Laënnec Hurbon, « Nous assistons à l’effondrement des institutions, de l’État et du lien social », estime le sociologue Laënnec Hurbon ».
–« Élections sous le contrôle de gangs armés : enjeux pour Haïti et dilemme pour la communauté internationale », par Laënnec Hurbon, « Médiapart, Paris, 19 juillet 2020.
— « La détérioration de la situation des droits humains en Haïti est très préoccupante », Avocats sans frontières Canada,Port-au-Prince, 28 octobre 2021.
–« Les intellectuels lors de la montée du nazisme », radiofrance.fr, 12 janvier 2017.
–Sur Louis-Ferdinand Céline, auteur du monumental « Voyage au bout de la nuit » et également écrivain antisémite et théoricien du nazisme, lire le dossier « Céline : voyage au bout du nazisme ? », Libération, Paris, 14 juillet 2019.
———————–
3. « Mise au point concernant les attaques de Robert Berrouët-Oriol à l’occasion de la publication de l’article intitulé « Haïti, perspectives de sortie de crise durable »
https://lenouvelliste.com/article/237325/haiti-perspectives-de-sortie-de-crise-durable
Louis Naud PIERRE
8 août 2022
J’ai pris connaissance d’un Message transmis par mail dans lequel Robert Berrouët-Oriol déverse sa furie, suite à mon article dans l’édition du 3 août 2022 du journal Le Nouvelliste intitulé : « Haïti, perspectives de sortie de crise durable ». Monsieur Berrouët-Oriol oublie le contenu dudit article. Il s’est livré à des attaques contre ma personne et contre d’autres personnalités qui n’ont rien à voir avec ce qui est écrit.
La violence extrême de Monsieur Berrouët-Oriol est pathologique. Il faut être psychiquement troublé pour calomnier autrui aussi facilement et aussi gratuitement. Pour trouver les indices de cette pathologie, trois éléments structurants du Message sont examinés : 1) le profil des victimes des attaques, mettant en évidence la prégnance d’une logique du tueur en série qui choisit minutieusement ses victimes ; 2) la nature des propos, révélant l’emprise d’une frustration refoulée ; 3) le procédé discursif, mettant en exergue une logique de clivage. Cette analyse fait apparaître Monsieur Berrouët-Oriol comme un excellent cas pour des études criminologiques et psychanalytiques (4).
1. Le profil des victimes des attaques
Les personnes attaquées par Monsieur Berrouët-Oriol ont le même profil : elles ont toutes, à un moment donné, accédé à la reconnaissance du système en tant qu’intellectuels ou experts. Ce qui est attesté par des fonctions ou des œuvres valorisées au sein dudit système, lequel serait incarné par le groupe au pouvoir. Et Monsieur Berrouët-Oriol prend le soin de souligner d’une part, les fonctions et les œuvres en question et, d’autre part, le lien des personnes concernées avec le groupe au pouvoir. Le but est de justifier sa férocité à leur encontre.
Les indices laissés dans le Message laissent deviner que la faute des personnes en cause est d’avoir réalisé des désirs que Monsieur Berrouët-Oriol paraît lui-même caresser : être reconnu en tant qu’intellectuel ou expert. Ces personnes sont alors pour lui source de souffrance et de mal-être. Elles deviennent à ses yeux des « mauvais intellectuels ou experts », sur lesquels il projette sa colère et sa haine : ceci, jusqu’à les assassiner symboliquement.
Certes, Monsieur Berrouët-Oriol n’est pas « L’étrangleur de Boston ». Il s’agit d’Albert DeSalvo, le tueur en série de Boston en quête d’une identité à travers ses crimes (Bourgoin, 2004 :173-176). Mais, le mode criminel reste le même : les victimes sont choisies en fonction de leur vulnérabilité. Dans le cas de Monsieur Berrouët-Oriol, la grande majorité des victimes nommées dans le Message sont des morts. Elles sont donc inaptes à se défendre. Les autres estiment indigne de se lancer dans une guerre de calomnies. Elles se murent dans le silence. Cela conforte Monsieur Berrouët-Oriol qui, comme tout bon tueur en série, est un lâche fuyant la confrontation avec ses victimes.
2. La nature des propos
Les propos du Message sont empreints d’agressivité, de rancœur, d’amertume, de désir de vengeance. Ils indiquent la prise de contrôle de Monsieur Berrouët-Oriol par une frustration refoulée. Il est pour ainsi dire dépossédé de son « bon sens », tel que défini par Descartes dans le Discours de la méthode. Il devient la voix et le scribe, non pas de la « Raison » (cartésienne), mais de cette frustration qui se mue en envie d’être intellectuel ou expert. Les victimes remplissent alors pour Monsieur Berrouët-Oriol une fonction centrale : celle d’exutoire pour la colère et la haine résultant de cette envie frustrée.
Autrement dit, les calomnies de Monsieur Berrouët-Oriol contre les personnes en question ne sont pas autre chose qu’un défoulement. Ce qui indique sa perte de contrôle de ses propos. C’est ainsi qu’il franchit toutes les lignes rouges, notamment : celles que tracent la morale et l’éthique à l’attention de ceux qui veulent porter un jugement sur autrui. Il s’agit notamment de la vérité, de l’objectivité, de la tolérance, de la responsabilité, de la justice, de l’équité. Monsieur Berrouët-Oriol méprise absolument ces valeurs signifiantes qui fondent la civilisation humaine. Il se situe en dehors de la morale et de l’éthique du sujet autonome et responsable.
3. Le procédé discursif
Le discours de Monsieur Berrouët-Oriol procède par le clivage. Ce terme est entendu ici dans le sens de la psychanalyste Melanie Klein (1955), disciple de Freud : résultat d’une opération psychique qui scinde le même objet et le même Moi en bon et mauvais.
En effet, Monsieur Berrouët-Oriol divise les Haïtiens en deux groupes. Le premier est formé par les mauvais et mafieux Haïtiens incarnés par ceux qui sont au pouvoir. Le deuxième groupe comprend les bons et honnêtes Haïtiens hors du pouvoir. Il suffit de ne pas être au pouvoir pour avoir le qualificatif de « bon et honnête » Haïtien ; peu importe que l’on soit un escroc, un fraudeur, un mafieux patenté. Monsieur Berrouët-Oriol dénie ainsi toute validité aux normes sociales (morale, éthique, coutume, mœurs, loi, etc.) qui définissent les critères de la bonté et de l’honnêteté. Ce déni donne un indice sur la logique de ce clivage. Ceci manifeste le retour d’une frustration refoulée : le désir de Monsieur Berrouët-Oriol de jouir, à travers ses cliques, d’un pouvoir monopolisé par un groupe. Ce qui le met en rage.
4. Un excellent cas pour des études criminologiques et psychanalytiques
Monsieur Berrouët-Oriol est l’archétype de personnes qui sont sous l’emprise de la frustration. Ces personnes présentent un double trait. D’une part, elles perdent la « Raison ». D’autre part, elles sont enclines à un excès de colère et de haine conduisant au meurtre (réel ou symbolique). La bible en regorge d’exemples, notamment : ceux de Caïn (Gn 4), de Jacob (Gn 27-28), des frères de Joseph (37-50). Dans la mythologie grecque, les descendants d’Hélios, dieu du Soleil et de la Lumière, illustrent les effets tragiques d’une frustration incontrôlable. Dans leur cas, la colère et la haine manifestent une impuissance face au pouvoir de la parole des dieux qui les condamne à un mauvais sort. A l’instar de ces personnages bibliques et mythologiques, Monsieur Berrouët-Oriol n’est pas maître de son désir de reconnaissance ni des conditions de sa réalisation. La frustration répétée de ce désir apparaît comme la face sombre d’un destin qui s’acharne sur lui.
Par ailleurs, Monsieur Berrouët-Oriol est l’incarnation d’une tendance lourde dans la société haïtienne, mise en évidence par André Corten (2001). Il s’agit de la « diabolisation de l’autre ». Par diabolisation, Corten entend « le fait de transformer, au sens propre ou au sens figuré, des acteurs de la société en forces du mal personnifiées par un être avec lequel toute conciliation est, par essence, impossible et condamnable » (p. 44). Finalement, « le mal devient non plus une force mais un personnage. Il y a une transformation de la logique païenne qui se traduit par l’introduction d’un dualisme radicalisé en manichéisme »(p. 44).
L’intérêt de l’article en question est de proposer une approche qui permet de sortir du simplisme intellectuel démagogique dont fait preuve Monsieur Berrouët-Oriol. Je montre comment des individus parviennent – au cours de ces trente dernières années – à accéder à la position de domination dans les espaces politique et économique par l’exploitation des ressources du chaos, notamment : la violence politique, les dispositifs de fraude, les jeux de combine et d’influence. Par ailleurs, je mets en évidence des dynamiques porteuses de projet de société en Haïti. Il s’agit de nouvelles pratiques entrepreneuriales innovatrices et d’un mouvement social de fond.
En guise de conclusion
Monsieur Berrouët-Oriol a tout intérêt à prendre conscience de cette frustration qui le rend prisonnier d’un discours haineux et clivant. Discours qui le dépasse, sans voir les contradictions dans lesquelles il s’empêtre.
Quelques références bibliographiques
Bourgoin, Stéphane (1998), 2004, L’étrangleur de Boston, Paris, Méréal, Collection Serial Killers, pp.173-176
Corten, André, 2001, Misère, religion et politique en Haïti, Paris, Karthala.
Klein, Melanie [(1955), 1978, Envie et gratitude et autres essais, Paris, Gallimard.
Pierre, Louis Naud (sous la direction), 2007, Haïti, les recherches en Sciences sociales et les mutations sociopolitiques, Paris, L’Harmattan.
———–
4. Observations préliminaires de Robert Berrouët-Oriol, 8 août 2022
Virulent réquisitoire de Louis Naud Pierre suite à mes remarques introductives à son article « Haïti, perspectives de sortie de crise durable » : les pièces au dossier.
(Note : le présent courriel, incluant ses références, est adressé par mes soins à un millier de correspondants en Haïti et en outre-mer.)
1) Acte 1 : Louis Naud Pierre publie en Haïti, dans Le Nouvelliste daté du 3 août 2022, un article ayant pour titre « Haïti, perspectives de sortie de crise durable ».
2) Acte 2 : Le 4 août 2022, j’ai rédigé un courriel de transmission du lien donnant accès à l’article de Louis Naud Pierre. Ce courriel (voir plus bas) a pour titre « REMARQUABLE ARTICLE DE LOUIS NAUD PIERRE : « Haïti, perspectives de sortie de crise durable ». D’abord adressé à une vingtaine de personnes, ce courriel a le même jour été acheminé à des centaines de correspondants vivant principalement en Haïti et également en outre-mer.
3) Acte 3 : Le 8 août 2022, Louis Naud Pierre adresse, à une vingtaine de personnes et à moi-même, une « Mise au point concernant les attaques de Robert Berrouët-Oriol à l’occasion de la publication de l’article intitulé « Haïti, perspectives de sortie de crise durable ». Le texte intégral de cette « Mise au point » figure à la suite de ce courriel. Je recommande de le lire attentivement comme d’ailleurs j’ai recommandé de lire son article « Haïti, perspectives de sortie de crise durable ».
4) Acte 4 (en gésine) : Je recommande donc à tous de lire attentivement les trois pièces au dossier afin que chacun puisse se faire une idée objective des sujets en question : (a) l’article de Louis Naud Pierre, « Haïti, perspectives de sortie de crise durable » ; (b) mon courriel de transmission de son article (voir plus bas) ; (c) la « Mise au point » de Louis Nauld Pierre (voir plus bas).
Observations préliminaires
1. Je me réserve le droit, en toute liberté, de répondre s’il le faut et en temps voulu, au réquisitoire de Louis Nauld Pierre. Si j’estime que mon éventuelle réponse peut contribuer à enrichir un débat public sur des questions citoyennes d’actualité, je le ferai à l’aide d’un article de fond amplement documenté.
2. D’un ton serein et dénué de tout excès de langage, mon courriel de transmission du lien donnant accès à l’article de Louis Naud Pierre n’est pas un article : il s’agit d’un court courriel qui contextualise le propos de Louis Naud Pierre et invite à lire son article en lien avec d’autres analyses d’auteurs, Haïtiens et étrangers, connus pour la rigueur de leurs analyses : Frédéric Thomas et Laënnec Hurbon notamment. Dans ce courriel, j’invite également à lire le dossier de Avocats sans frontières Canada sur l’accélération de la détérioration des droits humains dans l’Haïti dirigé par le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste, ainsi que des documents relatifs au rôle des intellectuels allemands dans la montée du nazisme en Allemagne. Mon courriel de contextualisation du texte de Louis Naud Pierre fait aussi le lien avec le dossier « Céline : voyage au bout du nazisme ? » paru dans Libération, à Paris, le 14 juillet 2019.
3. En dépit du ton serein et dénué de tout excès de langage de mon courriel, Louis Naud Pierre « pète les plombs », éructe, brame, brait et gémit : « La violence extrême de Monsieur Berrouët-Oriol est pathologique. Il faut être psychiquement troublé pour calomnier autrui aussi facilement et aussi gratuitement ». Je me garderai de le suivre sur le terrain de la psychologie de comptoir où les poncifs et les clichés abondent et tiennent lieu d’« analyse ». Du temps de Papa Doc Duvalier, les poncifs du type « kamoken » ou « kominis » menaient tout droit aux douceurs et aux chorégraphies létales de Fort-Dimanche… Plus près de nous dans le temps, la haute parole citoyenne du juriste Montferrier Dorval, bâtonnier de l’Ordre des avocats de Port-au-Prince, lui a valu d’être assassiné en sa résidence privée le 28 août 2020…
4. Constat hautement révélateur : dans son réquisitoire, Louis Naud Pierre passe sous silence un fait qui est très largement connu dans les milieux académiques et ailleurs en Haïti, comme je l’ai rappelé dans mon courriel du 4 août 2022 : « Louis Naud Pierre est une figure intellectuelle de premier plan du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste au pouvoir en Haïti depuis onze ans. À l’instar des intellectuels au service de la dictature des Duvalier –les frères Paul et Jules Blanchet, l’autoproclamé « historien » Rony Gilot, laudateur de la dictature duvaliériste, l’idéologue noiriste-raciste René Piquion, le proto-nazi Gérard de Catalogne, admirateur de Pétain et de Maurras et responsable éditorial des « Œuvres essentielles » de François Duvalier, etc.–, Louis Naud Pierre est en mission commandée pour le cartel politico-mafieux du PHTK. En passant sous silence ses liens idéologiques et politiques avec le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste, Louis Naud Pierre évacue le fait, amplement connu en Haïti, qu’il est le principal rédacteur de la nouvelle « Constitution » de janvier 2021 que le PHTK a voulu, en vain, faire adopter par un référendum illégal, annoncé, mais qui n’a pas été tenu en raison de la forte opposition de l’ensemble de la société civile haïtienne.
5. J’invite à apprécier la « Mise au point » de Louis Naud Pierre en lien avec deux textes majeurs et fort éclairants du linguiste Hugues Saint-Fort : « Revisiter l’intellectuel haïtien : sa nature, son rôle et sa fonction dans le corps social », Haïtian Times, 5 mai 2012, et « À quoi se réfère-t-on quand on parle d’« intellectuel » en Haïti ? » (Potomitan, novembre 2020).
L’article de Louis Naud Pierre, « Haïti, perspectives de sortie de crise durable » et sa « Mise au point » d’aujourd’hui –en lien avec les articles de Frédéric Thomas, Laënnec Hurbon et Hugues Saint-Fort–, méritent d’être méthodiquement auscultés pour bien répondre à de nombreuses questions, entre autres celle-ci : quel est le rôle véritable que le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste au pouvoir en Haïti depuis onze ans attribue aux « intellectuels » qui en sont les porte-voix ? Les écrits publics des « intellectuels » au service du cartel politico-mafieux du PHTK doivent-ils être banalisés en toute impunité au nom du « kase fèy kouvri sa » et d’une liberté de parole assautée lorsqu’elle n’est pas au service des détenteurs provisoires du pouvoir politique ? Comment expliquer le fait attesté qu’aucun « intellectuel », aucun idéologue autrefois au service de la dictature duvaliériste et aujourd’hui en service commandé pour le cartel politico-mafieux du PHTK ne constitue un modèle citoyen à offrir à la réflexion publique en Haïti ?
—————
5. Courriel daté du 10 août 2022 d’Erno Renoncourt (Port-au-Prince)
Bonjour,
Merci pour ce partage. Pour des raisons évidentes d’amour de la provocation, cet intéressant débat entre Pierre Naud Louis et Robert Berrouët-Oriol m’intéresse, et je me permets d’apporter ma touche de frustrations. Évidemment, je ferai l’effort d’argumenter de manière plus éthique qu’académique. C’est donc avec mon habituelle insolence, fer de lance d’une « impertinence constructive » que je revendique, que j’animerai cette tribune. Je sais hélas que mes détracteurs deviendront plus nombreux, car beaucoup, en Haïti, comme ailleurs, se reconnaitront dans le profil de ces experts intellectuellement ajustés que je dresserai pour expliquer comment les succès d’endettement fabriqués par le néolibéralisme contribuent à verrouiller la vie sur une face médiocre qui bloque le plus humble des possibles humains. Pour cause, comme le dit Agnes Muir-Poulle (https://www.cairn.info/petit-traite-d-impertinence-constructive–9782706121395.htm), seules des élites éthiquement et humainement compétentes acceptent la critique et la posture difficile de l’impertinence constructive.
Je commencerai par dire que ce débat ne peut être intelligiblement approprié que si on fait l’effort de comprendre le rôle des experts et des chercheurs dans l’écosystème du capitalisme sauvage. C’est une réflexion qui est au cœur de l’axiomatique de l’indigence sur laquelle je travaille justement depuis 7 ans.
On notera que ce recours à la frustration, utilisé par le chercheur pour récuser « une pensée critique » développée par le linguiste Robert Berrouët-Oriol sur l’incohérence entre ses écrits de chercheur et sa pratique de serviteur du régime PHTK (comme de nombreux autres d’ailleurs à gauche comme à droite), est une stratégie commune aux chercheurs et experts intellectuellement ajustés qui sont fabriqués par le capitalisme sauvage pour réfuter toute contestation, tuer toute pensée éthique et assurer ainsi la globalisation de la pensée totalitaire dominante. Curieusement, c’est aussi l’argument de choix des dilapidateurs et des voleurs.
Osez demander des comptes aux voleurs qui ont pillé le trésor public de 1957 à 2022, ils vous traiteront d’aigris et de frustrés. Osez dire aux chercheurs qui font de grands arrangements avec la méthode, la vérité, l’intégrité et la qualité dans leurs études et leurs projets pour préserver leurs accointances avec les réseaux de bailleurs de fonds, ils vous traiteront de frustrés et d’aigris. L’argument de la frustration est une arme de conditionnement massif qui est mise au point pour générer l’impuissance et l’impensé. Surtout dans un pays où la vie se résume à prouver sa petite réussite (fè wè), qu’importe que tout transpire d’incohérence, d’insignifiance et d’indigence. Kapab pa soufri !
Ce sont justement ces médiocres à succès qui bloquent les nouveaux possibles humains et facilitent le triomphe de la barbarie. Je travaille sur un texte qui aborde justement le concept de l’endettement éthique comme nouveau régulateur du capitalisme sauvage. Les succès académiques fabriqués ces 30 dernières années ont été dimensionnés par une variable d’ajustement éthique qui contraint ces nouveaux experts et chercheurs « caca-pipi » (expression empruntée au succulent rédacteur Théophraste du site Le Grand Soir) du capitalisme sauvage à rembourser leur intronisation dans la lumière merdiatique par une érosion des contours de la dignité et de l’intégrité. Pour se perpétuer sans violence, le néolibéralisme a su fabriquer une armée de médiocres doctorés qui, étant éthiquement endettés, ne vont vivre que pour rembourser l’endettement qui leur vaut leur succès académique en devenant des fumiers humains, vils et serviles, bloquant toute perspective de changement. C’est cette fabrique de l’homme endetté qui est le fondement du néolibéralisme selon Maurizio Lazzarato. Précisons que l’endettement éthique est plus contraignant que l’endettement économique. C’est un processus d’ajustement intellectuel et culturel qui permet d’embrigader les chercheurs et les experts pour mieux étouffer la pensée critique qui seule peut ouvrir des perspectives complexes pour laisser émerger de nouveaux possibles humains. Diego Gambetta, dans un article sulfureux ( La valeur de l’incompétence : comment fonctionnent les kakistocraties universitaires ?) a mis en exergue les valeurs d’incompétence ( insignifiance, déficience éthique, clientélisme, népotisme) communes au monde de la mafia et de l’université.
Je vous suggère donc, au hasard de vos disponibilités de lecture, de retrouver ces textes qui peuvent vous éclairer sur les pratiques communes au monde de la mafia et au monde universitaire. C’est l’illustre Diego Gambetta qui nous parle d’un sujet qu’il serait bon de débattre en Haïti au vu de la misère éthique de nombreux de nos chercheurs. Dans un autre texte plus sulfureux, Gambetta montre que chaque fois que le profit, les avantages personnels, les réseautages professionnels prennent le pas sur la vérité, la qualité et l’éthique, il y a de potentiels criminels en formation. Car pour ce chercheur, Les criminels sont la quintessence de l’homo economicus. Et c’est pourquoi le néolibéralisme fabrique des hommes économiquement et éthiquement endettés pour se recycler sans violence.
Croyez-vous que les gangs auraient prospéré si bien et si tranquillement en Haïti si certaines valeurs communes au gangstérisme n’étaient pas partagées par toute la société des gens lettrés, cultivés et doctorés qui enfument la vie avec leurs titres, leurs succès ? Voilà 7 ans que je dénonce l’imposture de cet académisme caca-pipi qui a été fabriqué pour faire vivre l’impensé agissant comme norme de réussite. Je suis black listé professionnellement, car toute la société haïtienne est peuplée de médiocres à succès, de chercheurs culturellement ajustés, d’intellectuels éthiquement endettés et d’universitaires au rayonnement indigent, qui ne supportent pas la pensée critique. Pour cause, car sous l’angle merdiatique de l’enfumage académique caca-pipi dominant, c’est toujours ce qui éclaire qu’on occulte par contre feux pour pour que triomphe l’insignifiance anoblie. Pour paraphraser Raymond Aron :
Moins l’intelligence adhère à l’intelligence éthique, plus elle rêve de compromissions, vit de soumissions et rayonne de servitude. Plus l’éthique est assumée comme compétence humaine intrinsèque, plus l’intelligence voit sa mission dans la critique et le refus.
Dans un tel contexte l’aigreur doit devenir une valeur à promouvoir pour faire vivre cette agile intuition à générer des retours enflammés ulcérés revivifiants. Moi, cela fait plus de 7 ans que j’assume l’aigreur, l’insolence comme des valeurs à mobiliser pour déstabiliser l’indigence. Et pour la route, en attendant mon article, qui sera certainement taxé d’être l’inspiration d’un frustré, je vous laisse avec cette citation de Dostoïevski.
Ah, qu’elle est belle la provocation quand elle n’est pas triviale !