Disponible bientôt à Livres en folie du 31 mai au 1er juin 2018
LE CRÉOLE HAïTIEN DANS LA TOURMENTE ?
Faits probants, analyse et perspectives
Par Fortenel THÉLUSMA
Préface du linguiste et créoliste Hugues SAINT-FORT
Publication : C3 Éditions
Introduction
Les années 80 ont vu deux fameuses résolutions en faveur du créole. Sur le plan éducatif, d’une part, la réforme Bernard (79-80) portant le nom de son initiateur a introduit pour la première fois la langue maternelle à l’école en lui assignant, entre autres nouveautés, une double fonction : langue – outil et langue- objet. D’autre part, sur le plan juridique, la constitution de 1987 a consacré le créole langue nationale et officielle. Cependant, ces décisions majeures n’ont pas permis dans la réalité des avancées significatives. C’est que la réforme ayant avorté, toutes les mesures prévues n’ont pas été suivies d’effet. Même si beaucoup d’éducateurs reconnaissent le rôle de facilitateur du créole dans la transmission des connaissances, tous ne l’utilisent pas en tant que tel. Dans de nombreuses écoles, certains en font usage dans cette perspective beaucoup plus par contrainte (difficulté à utiliser le français) que par une décision délibérée ou pour s’aligner à la réforme éducative. De plus, les prescrits de la constitution ne sont guère respectés : la majorité des documents officiels et administratifs ne sont pas publiés en créole. Par rapport à cette situation, de plus en plus de voix s’élèvent en faveur du créole réclamant, par exemple, le droit à la langue maternelle à l’école, l’aménagement linguistique incluant le créole. Bizarrement, une certaine polémique fait rage au sein même de ceux qui militent pour la (re)valorisation et le respect de la première langue en Haïti, notamment concernant sa cohabitation avec la langue seconde, le français ; d’un côté, ceux qui rejettent le français, de l’autre, ceux qui plaident pour un bilinguisme fonctionnel créole-français, suivant la réforme Bernard.
Parallèlement, d’autres voix se dressent contre la langue maternelle des Haïtiens en se livrant à des considérations incohérentes et discriminatoires. Dans certains milieux sociaux, même son statut de langue est rejeté, son orthographe contestée. Ce groupe est plutôt favorable au français, considéré comme « langue de prestige », langue de débouché.
De côté et d’autre, une forme d’usage du créole chez certains bilingues laisse entrevoir une vision tendant à le minorer vis-à-vis du français et constitue une menace à sa survie, une source d’incompréhension chez les créolophones unilingues. Même certains créolophones unilingues s’adonnent au jeu en essayant de recourir au français dans des affiches.
Partant de ce constat, on tentera, à travers ce livre, de décrire cette situation tout en s’évertuant surtout de faire ressortir les soubassements du comportement des utilisateurs de cette forme de langage. Enfin, quelques signes d’espoir et d’encouragement seront présentés, provenant notamment des chercheurs, de certains usagers du créole (chansonniers, simples usagers). Pour atteindre cet objectif, le plan suivant sera adopté :
– Analyse d‘une étude commanditée par le MENJS en 1999 : aménagement linguistique en salle de classe.
– Réflexions sur quelques emplois et structures syntaxiques observés dans le discours en créole haïtien.
– L’École fondamentale de 1982 à nos jours : a-t-elle rempli sa mission ?
– Créolophones unilingues et bilingues haïtiens : comment se passe la communication entre eux ?
– L’aménagement du créole et du français en Haïti : doit-il inclure l’université ?
– Le créole haïtien et ses richesses : quelques faits probants.
Le créole haïtien dans la tourmente ? s’adresse à un public large : scientifiques, éducateurs/ enseignants, étudiants et simples citoyens. Il propose à la fois une analyse linguistique suivie d’une tentative d’explication d’ordre sociolinguistique (chapitres II et IV). D’où la prise en compte à la fois de facteurs internes et de facteurs externes. D’autre part, la place que devrait occuper le créole dans l’enseignement-apprentissage en Haïti comme prémices à une politique linguistique y est abordée dans une analyse de l’Ecole fondamentale de 1982 à nos jours (chapitre III). Par ailleurs, des idées utiles pour un aménagement linguistique en salle de classe se trouvent dans le compte rendu d’une recherche commanditée par le MENJS en 1999 (chapitre I). Sans oublier une réflexion montrant la nécessité d’inclure l’université dans la problématique de l’aménagement linguistique en Haïti (chapitre V). Enfin, des séquences d’analyse alliant linguistique (syntaxe, sémantique, lexique, fonctions du langage) et littérature (figures de style) donneront une idée de la beauté et de la richesse du créole (chapitre VI).