Michel-Philippe Lerebours, la peinture haïtienne sur une période de 200 ans
Par Wébert Lahens
Le Nouvelliste, 10 septembre 2018
Michel-Philippe Lerebours vient de publier un travail, dont les remous nous parviennent déjà, sur l’art haïtien : « Bref regard sur deux siècles de peinture haïtienne (1804-2004) ». Ce bouquin est écrit, selon son auteur, « pour quelques amateurs d’art étrangers et d’anciens étudiants ». Il comble, certes, un vide, à deux paliers : un survol de l’histoire de la peinture haïtienne et une référence pour tout enseignement sérieux au niveau du Nouveau Secondaire. Au fil des pages, le Dr Michel-Philippe Lerebours, comme étant le premier historien de l’art haïtien, donne une envie folle de lire cette histoire, en train de se construire.
Le préfacier – l’historien Pierre Buteau – s’est multiplié pour dégager, à sa convenance, une image non conformiste du sujet traité par l’initiateur de l’histoire de l’art au pays à l’Institut français en Haïti. « L’intérêt de ce livre, a-t-il souligné, réside dans une volonté de l’auteur de faire connaître, sous ses multiples nuances, l’évolution d’un art qui trouve ses racines dans l’époque coloniale et qui continue, avec beaucoup de difficultés, de survivre. »
Le livre remonte à l’origine. Des faits remarquables sont ainsi évoqués. Au début, l’implantation de la peinture sous le gouvernement de Christophe, en 1816, « qui s’était entouré d’une équipe de huit (8) peintres nationaux». De passage, le peintre anglais –le portraitiste du Roy- Richard Evans (1784-1871) – avait créé, à Sans-Souci, une « Ecole de dessin et de peinture » dans le royaume du Nord. Pétion, dans le département de l’Ouest, à la même période, confiait à un peintre français du nom de Barincou une commande pour l’exécution des portraits des généraux qui avaient participé à la guerre de l’indépendance». Ces portraits ornaient «les salons du Palais national et ceux de la résidence de Pétion dans sa villa, à Thor-le-Volant». Ce mouvement se consolide sous les gouvernements de Boyer (1818-1843), de Soulouque (1847-1859), de Geffrard (1859-1867). Cet engouement a été traduit comme la manifestation du « premier âge d’or de la peinture haïtienne».
L’essai dresse un survol de chaque période marquante dans ses grands moments. C’est, au fond, une mise en situation pour faciliter la lecture de l’histoire de l’art haïtien, en la rendant plus vivante, et, parfois, plus excitante. Le travail assoit l’intérêt combien grand pour tout collectionneur d’art haïtien (étrangers ou compatriotes de la diaspora ou de l’intérieur) d’avoir, à portée de main, un livre de référence. Pour apprécier mieux sa propre collection. « Bref regard sur deux siècles de peinture haïtienne [1804-2004] » retrace le long périple de cette histoire toujours en train de se construire.
À l’origine, le Centre d’art
Ceux qui font remonter la destinée de la peinture haïtienne au Centre d’art, en 1944, seront déçus. Celle-ci existait bel et bien avant. L’ouvrage de l’introducteur de l’histoire de l’art en Haïti décrit, avec force illustrations, cette belle page intéressante de notre histoire nationale.
Les tableaux des artistes de la première heure du Centre d’art, sous la direction de De Witt Peters, illustrent l’ouvrage « Bref regard… » : Pétion Savain, André Malbranche, Lucien Price, Hector Hyppolite, Castera Bazile (le gardien du Centre, à l’époque), Philomé Obin (du Cap), Wilson Bigaud, Louverture Poisson, Rigaud Benoit, André Pierre, Robert Saint-Brice, Jasmin Joseph, Luce Turnier, Antonio Joseph, Salnave Philippe-Auguste, etc.
Nouvelle lumière – Nouvelle peinture
Cette œuvre récente de Michel-Philippe Lerebours suscite, au départ, des questionnements. Par sa manière d’aborder cette tranche d’histoire. Il a, d’abord, parlé des nouveaux naïfs comme Camy Rocher, Gérard Fortuné … avant d’insister sur le label d’ « École de la beauté », en traitant des peintres comme Bernard Séjourné, Simil, Jean-René Jérôme, Philippe Dodard, Jean-Claude Legagneur, etc. comme « nouvelle lumière-nouvelle peinture ». Dans sa présentation, il introduit un autre discours. Il considère la peinture «sophistiquée» à l’encontre de la peinture primitive comme une peinture redonnant « à la ligne sa pureté et sa grâce ». Parmi celle-ci, l’ « Ecole de la beauté était née, allait, à la solidité des formes, au mysticisme, à la recherche de l’intemporalité, substituer l’instantanéité, l’impassibilité, la fugacité des formes».
Il classe, dans la catégorie, « La poésie du désespoir », des artistes comme Valcin 2 concentrant en lui « toutes les contradictions de la société haïtienne », à côté de quelques peintres historiques dont il fait partie comme Ulrick Jean Pierre, Pierre Augustin, etc. Pour l’historien d’art, Dieudonné Cédor, Rose-Marie Desruisseaux aussi sont des peintres historiques.
Le temps du courage
Notre historien de l’art a beaucoup insisté sur l’ouverture de la peinture haïtienne à la modernité. Dans ses pages, il a fait un rapide coup d’œil sur quelques peintres modernes comme Franck Étienne, Etzer Charles, Pierre Clitandre, Harold Dessalines, Ronald Mevs, Gérard Hyppolite (architecte), Sacha Thébaud (Tebo), Odile Latortue, Marie-Thérèse Latortue Dupoux (Maritou), Franck Louissaint, Harry Jacques (Arijac), Manès Descollines, Jean-Claude Garoute (Ti Ga), etc. L’historien tente de dégager le « langage analogique » qui renvoie à la tragédie chez ces artistes.
« Bref regard… » reprend l’histoire de la peinture haïtienne. C’est une autre cuvée. Une autre manière d’interpréter la peinture haïtienne.
Sans susciter la polémique, libérée de toute exigence académique, l’écriture interpelle le lecteur. C’est souvent poignant. Mais deux détails ont gâché notre plaisir d’acheter le livre, parmi les premiers à « Livres en folie » : a) la reproduction de certaines toiles, d’un Pétion Savain, par exemple, a choqué notre joie. Certaines reproductions méritent d’être mieux traitées, pour les prochaines éditions de l’UEH ; b) le style, à certains endroits, dérange. J’en parlais à un collègue de Culture, il a fait les mêmes constats.
Je ne veux pas ravir au lecteur la joie de trouver, en condensé, une autre histoire de l’art haïtien, en attendant la réédition de « Haïti et ses peintres, 2 tomes ».