Décès de Josaphat Robert Large
Un poète jérémien de plus
a pris le large
Par Mérès M. Weche
Le National, Port-au-Prince, 29 octobre 2017
De gauche à droite : Josaphat Large, Syto Cavé et Anthony Phelps
C’est l’écrivain Gary Klang qui m’a appris la fâcheuse nouvelle des derniers jours du poète Josaphat-Robert Large sur un lit d’hôpital aux États- Unis d’Amérique. Au cours de notre longue conversation téléphonique, Klang n’a pu s’empêcher d’établir une relation existentielle entre Large et ses pairs de Jérémie : Claude Pierre, Jean-Claude Fignolé et Serge Legagneur, qui ont répondu presque au même instant à cet appel de l’au-delà. Au moment le plus inattendu qui soit. Un souffle court, donc.
« Quelle fatalité pour Jérémie ! », s’est écrié Gary Klang.
À ce point de notre conversation, Large n’avait pas encore rendu l’âme, mais nous le savions cliniquement déjà engagé dans l’inévitable passage de vie à trépas. Rejoint tout de suite en ligne sur Facebook, son autre ami en Haïti, Claude-Bernard Sérant, n’en était pas tout de suite convaincu, pour lui avoir parlé récemment. L’espace de quelques minutes, Sérant est revenu à la charge pour me confirmer que ce n’était qu’une question de jours ou même d’heures pour la grande culbute de Large. Sérant tenait cette confirmation de la compagne même du poète en Haïti, venue en trombe à son domicile lui apprendre la fâcheuse nouvelle. Josaphat-Robert Large est devenu, depuis peu, un maillon de plus à cette longue chaine de pertes pour la créativité littéraire haïtienne.
Au cours d’une exposition de portraits d’écrivains à Jérémie, en 2012, Large avait souhaité que je l’éternise dans le temps également. Ce qui a été fait à Montréal, il y a environ quatre ans, pour le compte de la librairie KEPKAA.
Peint comme un nuage au-dessus de la vie trépidante de New York, le poète surplombe ce train-train quotidien nord-américain et se laisse aller à ses rêveries quelquefois chimériques, mais combien symptomatiques de son vécu, dans le temps et hors du temps.
Né en 1942, d’une mère jérémienne et d’un père jacmélien, Josaphat-Robert Large, dit Bobisson, a toujours fait de sa vie un pont entre la Grand’Anse et le Sud-Est, par attachement viscéral à Jacmel et à Jérémie, ces deux villes en amphithéâtre dont il hérite de cette grande ambivalence retrouvée dans sa production artistique, poétique et littéraire.
Son premier recueil de poèmes « Nerfs du vent », publié en 1975, portera la marque de ces nordés communs à Jacmel et à Jérémie, par ces temps de turbulences maritimes où poètes et écrivains tanguent comme de frêles esquifs aux prises avec la rage des vagues et les « nerfs du vent ». Ce premier texte poétique le désignait déjà comme un fin ciseleur de mots hybrides traduisant le rapprochement par monts et par vaux de deux villes du Grand Sud, en situations opposées d’Est en Ouest, mais liées de coeur et d’esprit par deux corps épris qui ont mis au monde un être multidimensionnel.
Poète, romancier, photographe, homme de théâtre, en plus de s’adonner en plein à ses activités littéraires, Josaphat-Robert Large fondera la troupe Kouidor avec Syto Cavé, Jacques Charlier et Hervé Denis. Ce sera pour sa poésie l’occasion de prendre chair, du support papier à la planche, dans le seul but de passer la rampe. Il y réussira.
On le verra quelques années plus tard reprendre son habitude de balader entre Jacmel et Jérémie, pour finalement mettre son empreinte dans la conception du festival national de la poésie, en collaboration avec son grand ami, Guy-Marie Louis, qui ne jure que par l’illustration de cette fière apposition : Jérémie, la Cité des poètes. Pendant quatre années consécutives, Large ne concevait pas son absence à cette grande manifestation esthétique dans La Grand’ Anse, réunissant divers types de travailleurs artistiques, littéraires et culturels haïtiens, dans un coude à coude fraternel, en vue de l’épanouissement de la créativité haïtienne. D’année en année, on voyait Large sauter d’un avion à l’autre, pour être en première loge, et surtout à l’heure, dans ce super festival à Jérémie.
Parlant de son oeuvre poétique, Dominique Blondeur dira : « Si toute écriture est poésie, Josaphat Large le démontre bien dans un poème où la beauté d’une femme épouse une musique corporelle ». En effet, dans ses deux langues de travail, le français et le créole, c’est en esthète que Josaphat-Robert Large appréhende l’éternel féminin. On en a pour preuve cette complicité entre sa plume et sa caméra dans un récent tracé corporel des femmes de La Grand’ Anse, sous la forme d’un journal de bord richement illustré.
La sixième édition du festival national de la poésie s’est réalisée, en 2017, sans l’apport de trois de ses grands ténors : Claude C. Pierre, Jean-Claude Fignolé et Josaphat-Robert Large. Les deux premiers avaient déjà fait la grande culbute, trois mois auparavant. Quant à Bobisson, il vient tout juste de prendre le large. Cependant, cloué sur un lit d’hôpital, il ne pouvait honorer de sa présence cette manifestation culturelle qui lui tenait tant à coeur.
Il serait souhaitable que l’édition 2018 de ce festival national de la poésie à Jérémie ait trois invités d’honneur à titre posthume : Claude C. Pierre, Jean-Claude Fignolé et Josaphat-Robert Large.