Jean-Euphèle Milcé : « Mona », un personnage inoubliable
Par Wébert Pierre-Louis
Le Nouvelliste, 21 octobre 2020
« Mona » fait partie des personnages de fiction les plus inoubliables de la littérature haïtienne. Il se trouve au cœur de l’œuvre de l’écrivain Jean-Euphèle Milcé. Passionnant, ce personnage est apparu dans « » Mona », titre de la contribution de l’auteur de « L’alphabet des nuits » au collectif « 24 poèmes pour les Gonaïves », paru en 2004 à Presses nationales d’Haïti. Tout en exorcisant les morts, ces gens emportés par la tempête Jeanne, Jean-Euphèle Milcé, à travers « Mona », concocte un minutieux travail de mémoire sur l’enfance. D’où la présence de « » Mona » comme nouvelle désormais, dans une version augmentée, dans son recueil de six nouvelles intitulé « Danfans malè » publié en décembre 2019.
Poétique. Volcanique. « Mona » est l’un des plus captivants poèmes de notre littérature de par sa charge émotionnelle. « Mona », dans sa version « nouvelle », est d’une sensibilité inégalable et le travail sur la langue créole est impressionnant. « Mona » est ce personnage qui habite le lecteur et le pousse à questionner le pouvoir de la littérature. L’importance des rencontres et des événements. Surtout la place de l’enfance dans notre vie, avec son lot de rêves barbares et ses innocences. « Mona » s’impose à nous comme un classique, un texte indépassable quand on aborde la littérature créole haïtienne.
En effet, c’est l’histoire d’une quête inaboutie et inachevée. Une quête qui débouche toujours sur la proximité avec le malheur des autres et sur le désespoir d’un narrateur en proie à ses démons amoureux. Bref, c’est la triste histoire d’un narrateur voulant retrouver une fille qu’il a connue et qu’il a aimée. Quatre ans, dix ans, vingt ans après, il continue la poursuite de ce bonheur perdu, noyé peut-être dans la tempête Jeanne et emporté sous la terre.
Le narrateur cherche désespérément cette fille, symbole d’un grand amour et d’une enfance lointaine. Il ne sait pas si l’être aimé, qui est « Mona », est morte lors des cyclones ou d’autres catastrophes qu’a connues Gonaïves. Il n’arrive pas à faire son deuil vu le doute sur sa disparation. Il est miné et rongé par un grandissant désespoir. La revoir. Savoir ce qu’elle est devenue. Lui parler. Remémorer avec elle ce temps où l’amour prenait possession de leurs doigts, où ils voulaient étreindre et construire le monde. Autant de choses qui traversent ce jeune garçon, devenu adulte sous les yeux du lecteur. En peu de mots, « Mona » tourne autour d’une trilogie : l’amour, la mort et la catastrophe. « Mona » porte aussi un regard lucide sur le temps, qui est l’un des plus grands destructeurs de la terre.
« M louvri memwa m de batan sou yon sezon lanfans. Yon tan. Jou te konn geri jou. Tout anons move tan te yon pretèks men nou rankontre, pou dwèt nou kwaze. Nou mare van. Nou bare lapli. Nou jennen siklòn, (p 82) »
« Mwen mal. Fantezi lavi fè m mal. M pote lapenn mwen tankou letan trennen malè l. Chak touf cheve ki anbrase yon kò san vi sanble ak ou, « Mona ». Di m, di m tanpri, ki kantite « Mona » ki pèdi ? Ki kantite rèv ki neye ? Mo m yo mouye tranp. M ap chèche wout mwen nan labou. Gonayiv, vil mwen, (p 84) ».
Fiction ou réalité, l’histoire de « Mona » nous touche. Elle met au coin de nos yeux des filets de larmes. On souffre beaucoup avec ce narrateur désespéré, dépassé par la souffrance humaine. On a envie de l’aider à retrouver son paradis perdu, mais on ne sait pas hélas, nous autres lecteurs, si « Mona » se trouve encore dans le monde des vivants ou celui des morts. On sent que la vie, comme la mort, est un naufrage. On sent l’effritement des êtres et des choses. On sent que la plaie du narrateur demeure ouverte tout au long de l’histoire.
« Konbyen moun k ap fouye, k ap chèche idantifye moso nan kò yon moun li te renmen, p 93 »
« » Mona », m toujou pa gen nouvèl ou. Nan yon vil k ap monte mò natirèl li yo chak jou. Men, de fwa pandan katran, se mò inondasyon l ap konte. M ap chèche w. M pè tonbe sou ou, (p 96) ».