Grand Prix de poésie de l’Académiefrançaise
attribué à Anthony Phelps
Par Robert Berrouët-Oriol
Montréal, le 22 juin 2017
L’archipel des lettres vibre, festive, à l’annonce, le 22 juin 2017, de l’attribution à Anthony Phelps, poète etromancier,GRAND PRIX DE POÉSIE DEL’ACADÉMIE FRANÇAISE POUR L’ENSEMBLE DE SON OEUVRE. La nouvelle vient de m’êtreconfirmée par Anthony Phelps lui-même et par son éditeur parisien, BrunoDoucey.
Anthony Phelps a été lauréatdu Prix Carbet dela Caraïbe et du Tout-monde 2016 pour l’ensemble de son œuvre. Auparavant, il a reçu les distinctionslittéraires suivantes :
1980 PrixCasa de las Américas, pour La Bélière caraïbe.
1987 PrixCasa de las Américas, pour Orchidée nègre.
2012 PrixPoésie, Salon du livre insulaire, Ouessant, pour Nomade je fus de très vieille mémoire
2014 Prixde Poésie Gatien-Lapointe – Jaime-Sabines, pour Mujer América / FemmeAmérique.
2014 Chevalier dans l’Ordre des arts et des lettres (France).
Au Québec, le poète AnthonyPhelps a été honoré par la Ville de Montréal le 24 mars 2016 en présence d’un ample aréopage d’officiels, d’opérateursculturels, d’amis et de proches des différentes communautés culturelles decette ville.
Il y a cinq ans, le 16 juin 2012, l’agence haïtienne en ligne Alter Presse, depuis Port-au-Prince, avait judicieusement diffusé leretentissant « HAÏTI – HOMMAGE : NON, MERCI ! » d’Anthony Phelps. Le poète avait lors décliné en ces termes un hommage in absentia :
« Paris, le15 juin 2012. J’ai lu, avec étonnement, dans Le Nouvelliste, que j’ai reçu un hommage in absentia, du président Martelly. Le 4juin dernier j’ai reçu un courriel, m’annonçant que je serais honoré, encompagnie d’un groupe d’écrivains, par le président Martelly, et que je devraisprévoir quelqu’un pour me représenter. Ce courriel qui n’était pas envoyé parle bureau de la présidence, ne disait pas à quelle occasion devait avoir lieucette cérémonie. Sans plus de précision, j’ai décliné l’invitation parcourriel. De toute façon je ne saurais accepter un hommage en tant qu’auteur de« Mon Pays que voici », tant et aussi longtemps que Jean ClaudeDuvalier ne sera pas traduit en justice. »
Cette exceptionnelle et fortlégitime distinction qu’accorde l’Académie française à Anthony Phelps peut êtrevue comme une sacrale déclaration d’amourdu poète à son pays natal qu’il refuse –dans sa haute poésie plus quecinquantenaire, dans ses romans, son théâtre, ses nouvelles, ses contes pourenfants, sa discographie, ses films–, de voir s’enfoncer encor et encor dansla nuit duvaliériste, pestiférée et deshumanisante. Un ultime cri d’amour, quiprend l’Histoire à témoin.
Dans une étude d’une grandeamplitude analytique et datée de 2004 –« Anthony Phelps : lepoète rassembleur »–, Lyonel Icart situe l’œuvre en ces termes:
« [Le] thème du pays natal persiste commeune obsession qui jamais ne quitte le poète tout au long de son séjour en terrequébécoise. Cette déchirure provoquée par l’exil fait sans cesse retour,lancinant, pesant, où l’évocation de l’enfance, heureuse et protégée, sonnecomme la quête d’un paradis perdu, le désir de fixer le temps dans l’espace del’enchantement du matin. Mais l’irruption de la nuit brutale de la dictatureparasite ce temps de l’innocence, assaille l’espace neuf de l’émigration. Etl’anamnèse se nourrit aux deux sources du pays rêvé et spolié. Ainsi, dans Marelleet jeu de quilles[6], les jeux del’enfance se prolongent dans l’éveil des premiers désirs de l’adolescence. Lethème de l’Amour associant le tracé de la marelle au corps de la femme, /Sur la piste lisse et nue balisée des seins vierges /,d’abordinnocence et découvertes heureuses, que le poème développe dans une premièreversion d’avant l’exil de 1964, ce poème est réécrit en 1975, après l’exil[7]. Il est mis en carène pour dire lerapport nouveau qu’entretient désormais le poète avec son pays natal;celui de la douloureuse expérience de la dictature, / L’enfer ici le cielaux antipodes /, où Haïti prend l’allure d’une prison infernale, / Lesbarreaux chantent la fin / Les barreaux miment la mort /, d’où ilfaut à tout prix s’échapper pour rester en vie, / Saute par-dessus leparapet Saute /Ton salut est dans le saut /. L’image de la marellequitte alors celle du corps de la jeune fille pour se dérouler dans lamétaphore du trajet salvateur qui l’emmène vers « le ciel devant »,et laisse « l’enfer derrière ». Si l’exil est promesse desurvie, il n’est pas pour autant garant de tranquillité et de rédemption.Phelps sera constamment taraudé par les événements tragiques qui ont traversésa vie. Ses textes, émaillés de thèmes communs aux poètes de tous temps et detous lieux (la femme, l’amour, la fuite du temps, la mer, la trahison)entrelacent, dans sa poésie et son œuvre romanesque, des motifs récurrents quicaptent l’histoire individuelle au moment où elle bascule dans le drame del’histoire collective »
L’œuvre polyphoniqued’Anthony Phelps comprend, entre autres, les titres suivants :
Poésie
. Couverture et illustrations de Grace Phelps en collaboration avecl’auteur. Port-au-Prince: Impr. N. A. Théodore (Collection« Samba »), 1960.
Présence, poème. Illustrations de Luckner Lazard. Port-au-Prince:Haïti-Littéraire, 1961.
Éclats de silence. Port-au-Prince: Art Graphique Presse (CollectionHaïti-Littéraire), 1962.
Points cardinaux. Montréal: Holt, Rinehart et Winston, 1966.
Mon pays que voici. Suivi de: les Dits du fou-aux-cailloux. Honfleur: P.J.Oswald, 1968. Mon pays que voici (nouvelle édition : introductionde l’auteur, album photos et annexe). Montréal: Mémoire d’encrier, 2007.
La Bélière caraïbe. La Habana, Cuba: Casa de las Américas, 1980; Montréal: Nouvelleoptique, 1980.
Nomade je fus detrès vieille mémoire (anthologiepersonnelle). Paris: Bruno Doucey, 2012.
L’Araginéechiromancienne. Bestiaireillustré par Sean Rudman. Trois Rivières: Éditions d’Art Le Sabord, 2012.
Je veille,incorrigible féticheur. Paris:Bruno Doucey, 2016.
Romans
Moins l’infini, roman haïtien. Paris: Les Éditeurs Français Réunis, 1973;Montréal: CIDIHCA, 2001; réédition sous le titre Des fleurs pour les héros.Paris: Le Temps des Cerises, 2013.
Mémoire encolin-maillard. Montréal:Éditions Nouvelle Optique, 1976; Montréal: CIDIHCA, 2001; Paris: LeTemps des Cerises, 2015.
Haïti !Haïti ! (avec GaryKlang). Montréal: Libre Expression, 1985; réédition sous le titre Lemassacre de Jérémie : opération vengeance. Montréal: Éditions DialogueNord-Sud, 2014.
La Contrainte del’inachevé.Montréal: Leméac, 2006.
Conte pourenfants
Et moi, je suis une île. Montréal:Leméac, 1973; Montréal: Bibliothèque Québécoise, 2010.
L’œuvre d’Anthony Phelps est partiellement traduite en catalan,allemand, anglais, espagnol, italien, japonais, russe et ukrainien. Untraducteur littéraire professionnel ne nous a pas encore offert une traductioncréole de son œuvre…
De Jacmel à San Miguel de Allende, de Port-Margot à Montréal, de Dakar àNaples, de Trois-Rivières à La Havane, c’est l’archipel de la poésie toutentier qui vibre de joie festive. Hommage à la Poésie. Hommage aux deux îles duPoète, Haïti et Montréal. Hommage au français, l’une des deux langues de notrepatrimoine linguistique biséculaire.