publié le 4 févr. 2016 à 03:25 par Robert Berrouët-Oriol [ mis à jour : 4 févr. 2016 à 04:09]
Chant du cygne de Michel Martelly
LE PRÉSIDENT HAÏTIEN PERSISTEDANS L’INSULTE FAITE AUX FEMMES
ParRobert Berrouët-Oriol
Montréal, le 4 février 2016
On le savait en public vulgaireet ordurier… Sa déjà vieille « carrière » de musicien –plus précisément de clownamuseur public–, est dans le champ artistique jonchée de détritus paroliers, d’appels aux pulsions violentes lesplus archaïques et discriminantes. Malgré cela, ou sans doute à cause de cela,une partie de la petite bourgeoisie pétionvilleoise traditionnellement privilégiéeainsi qu’une ample frange du lumpen prolétariat des grandes villes flanquée de« lumpen professionnels » et de « lumpen intellectuels » ontplébiscité la musique obtuse de Sweet Mickyautoproclamé « président du konpa ». De là à vouloirfantasmatiquement devenir président tout court du pays, il n’y avait qu’un pasà franchir et il l’a fait sous la houlette de certains occultes « amis »d’Haïti etdans le droit fil d’une mesurable faillite de l’État haïtien.
On le savait en public grossieret scatologique, méprisant les intellectuels, les écrivains comme les poètes, etvoici que par un obscur golpeélectoral concocté en vase clos l’Organisation des États américains (OEA) a sul’imposer en 2011 comme président de la République d’Haïti. Ce golpe électoral foulait lors aux piedsla vérité des urnes dans un contexte où moins de 20% de la population d’Haïti s’étaitprévalu de son droit de vote…
Michel Martelly(à gauche) et Jean Claude Duvalier (à droite).
L’autoproclamé « président du konpa »,devenu président d’Haïti à l’aune d’une périlleuse magouille, s’est appliqué dèsson arrivée au pouvoir à instituer le règne des « bandits légaux » dans l’Administration du pays et à afficherses liens avec les plus connus des narcotrafiquants haïtiens. Admirateur desLéopards de Jean Claude Duvalier –corps militaire anti guérilla de préservationdu pouvoir de la dictature mis sur pied par la CIA au début des années 1970–,ami affiché des narcotrafiquants de l’Armée d’Haïti qui ont fomenté le coupd’État de 1991, Sweet Micky alias Michel Martelly est également connu pour sa misogynie, son mépris affichédes femmes, en particulier pour les femmes qui représentent en Haïti un modèle citoyen.
Mépris halluciné des femmes
On l’a vu à l’œuvre ces derniers mois et les frasques duchanteur-président n’ont pas manqué de soulever un tollé dans les médiassociaux comme dans la presse traditionnelle. Ainsi, le Nouvelliste d’Haïtirapporte les propos de plusieurs interlocuteurs qui assument à visière levéeque Michel Martelly est
« […]une honte pour le pays, il n’est pas à sa place, il déshonore la fonction deprésident de la République, […] il n’est pas lucide… » […] les réactions aprèsles injures du chef de l’État contre cette dame lors d’un meeting à Miragoânemardi dernier [28 juillet 2015] ne sont pas tendres envers le locataire dupalais national. Dans les réseaux sociaux et dans les médias, les gens ontexprimé leur colère contre le président de la République. » [… S’exprimantelle aussi,] « Lamilitante de défense des droits de la femme, la sociologue Danielle Magloire,considère comme une agression sexuelle les propos de Michel Martelly contrecette dame à Miragoâne. »(« MichelMartelly a encore frappé fort… »,Le Nouvelliste du 30 juillet2015 : http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/148018/Michel-Martelly-a-encore-frappe-fort
Plus près de nous, la presse nationale etinternationale s’est indignée avec raison face au déferlement de haine et demépris contenu dans la méringue carnavalesque que diffuse en Haïti Sweet Micky alias Michel Martelly voir l’article « Le carnavaldémagogique du président d’Haïti », journal Libération, édition du 2 février 2016 : http://www.liberation.fr/planete/2016/02/02/le-carnaval-demagogique-du-president-d-haiti_1430340; voiraussi l’article le plus récent, « Haïti-Médias : concert decondamnations de la chanson sexiste de Martelly contre la journaliste LilianePierre Paul », AlterPresse, édition du 4 février 2016 : http://www.alterpresse.org/spip.php?article19637#.VrLNU7Rd5Qw. Calomnieuse, méprisante et ouvertement sexuellement agressante,la version 2016 de la méringue carnavalesque du chanteur-présidents’intitule « Ba l bannann nan » (« donne-luila banane ») et de nombreux médias haïtiens refusent courageusement dela diffuser alors même que dans la nuit du 30 novembre 2015 les locaux de Radio télé Kiskeya ontété l’objet de tirs d’armes à feu (voir l’article « Attaque arméecontre les locaux de Radio Télé Kiskeya » : http://www.radiokiskeya.com/spip.php?article10584. Laméringue carnavalesque du chanteur-président cible avec violence deuxjournalistes de renom, Jean Monard Métellus,qui dirige l’émission « Ranmasé » de Radio télévisioncaraïbes, et Liliane Pierre-Paul, animatrice du journal quotidien en créole deRadio Kiskeya, « Jounal katrè ».Depuis Port-au-Prince l’Agence en ligne AlterPresse, tout en rappelantl’hostilité constante de Michel Martelly à l’égard de la presse, fait un état des lieux en ces termes :
« Un fragmentd’une méringue carnavalesque de « Sweet Micky » (Michel Martelly),dans laquelle est fredonné le refrain Ti Lili (en référence à lajournaliste Liliane Pierre-Paul, que Martelly voudrait ridiculiser), circulesur les réseaux sociaux, depuis la fin de l’année 2015. Cette meringueattentatoire de Michel Martelly cible la journaliste et directrice deprogrammation de Radio Télé Kiskeya, Liliane Pierre-Paul, qui a été déjà qualifiéepar Martelly de Ti Lili dans le cadre d’une interview à Radio TélévisionCaraïbes (Rtvc). Dans une note datée du 16 décembre 2015, l’Associationnationale des médias haïtiens (Anmh) a dénoncé cette méringue carnavalesque de« Sweet Micky », qui a repris son costume de musicien-amuseur publicà travers cet acte inqualifiable, qui traduit son irresponsabilité et sonincurie. » (« Haïti-Culture :le carnaval national 2016, prévu à Port-au-Prince du 7 au 9 février, malgré lemarasme économique et une période tumultueuse », AlterPresse, éditiondu 19 janvier 2016 : http://www.alterpresse.org/spip.php?article19546#.VrKFlLRd5Qw
Liliane Pierre Paul
Dans une société haïtiennearchaïque et profondément machiste, l’attitude de Sweet Micky alias Michel Martelly participe d’un séculaire mépris desfemmes et d’un lourd déficit de citoyenneté légué par la dictatureduvaliériste. Alors même que la période du carnaval est celle durant laquelles’exprime la défiance, la critique satirique, la dérision, les« pwen » et autres piques peu amènes pour les pouvoirs en place, l’actuel locataire du Plais national entend lui aussi « jouirde la liberté d’expression » pour contrer ceux qui ont osé porter un regardcritique sur son erratique gestion du pays ces cinq dernières années. Mais pourrépondre aux journalistes assimilés à des détracteurs, Sweet Micky alias Michel Martelly emploie leseul langage qu’il connaît, celui du rapport de forces inégal, de la calomniesous le manteau de l’impunité, de la menace implicite et de la néantisation desfemmes selon l’évangile misogyne. Fidèle à lui-même, il s’exprime de manièrevulgaire et scatologique : il fait du Sweet Micky drapé en président de laRépublique. Et puisque la sexualité-de-domination est le lieu par excellence del’infantilisation, du mépris et de la néantisation des femmes, c’est sur leterrain d’une sexualité violentée qu’il convie celle qui est visée par sonmépris, « Ti Lili »(« Petite Lili »), surnom de MadameLiliane Pierre-Paul que seuls les amis intimes et les proches parents ont ledroit d’utiliser. En créole haïtien, le « ti » réfère aussi à unecatégorisation de « petit », de subalterne, de « moitiéde », de second rôle, et le chanteur-président le sait bien lorsqu’ilchoisit de catégoriser ainsi une journaliste connue pour sa droiture et qui,emprisonnée et torturée dans les années 1980, a été violentée dans sa chairsous la dictature de Jean Claude Duvalier. MadameLiliane Pierre-Paul a été violentée à l’instar de l’actuel « premierMinistre » Evans Paul qui, lui, arrêté et torturé à la même époque, achoisi en dehors de toute justice-réparation la voie peu reluisante de lacompromission avec ses bourreaux : il n’a pas hésité à serrer la main et àposer aux côtés du nazillon Jean Claude Duvalier et du zenglendo Prosper Avril,aux Gonaïves, le 1er janvier 2014.
De gauche àdroite : Evans Paul/KPlim, Jean Claude Duvalier, Michel Martelly etProsper Avril aux Gonaïves le 1er janvier 2014.
pratiquant le dénigrement et le méprispour Liliane Pierre-Paul considéréecomme un symbole de la démocratie en Haiti–, dans la méringuecarnavalesque « Ba l bannannnan », Sweet Micky alias Michel Martellytente de saper les conquêtes féministes des trente dernières années ainsi queles acquis mesurables mais encore fragiles du camp démocratique haïtien dansses différentes composantes. Sans tomber dans le piège de la provocation « détournante »du locataire du Palais national d’Haïti, il importe de bien comprendre que lechanteur-président poursuit un objectif stratégique que l’on peut également retracerdans la récente cabale menéesur Storm TV par des proches du pouvoir tètkale :
« Ledirecteur général de la station [Radio télévision Kiskeya], Marvel Dandin, quiintervenait au cours dudit journal, a cité deux proches de Michel Martellyconnu sous les noms de Ronald (Roro) Nelson et Jojo Lorquet, dans le cadred’une émission réalisée sur Storm TV, qui s’amusaient à « dénigrer ladirectrice de programmation de Radio/Télé Kiskeya ». « Si Liliane a unefamille, qu’elle le présente à la population », a déclaré l’un des deuxindividus susmentionnés. « Si Liliane avait un fils ou une fille, ce seraitcelui ou celle qu’elle avait eu d’un officier de l’armée d’Haïti pendantqu’elle était en prison », a renchéri l’autre animateur de l’émission diffuséesur Storm TV. » (« LilianePierre-Paul, victime de « dénigrement » de la part de deux proches du présidentMartelly », Radio télévision caraïbes, 24 janvier 2016 : http://www.radiotelevisioncaraibes.com/nouvelles/haiti/liliane_pierre-paul_victime_de_d_nigrement_de_la_part_de_deux_pr.html
Détourner l’attention citoyenne de la catastrophe électorale de2015
En définitive,avec méringue carnavalesque « Ba l bannann nan », et à l’aide de la cabale conduite surStorm TV, il s’agitpour Sweet Micky alias Michel Martelly détourner l’attention citoyenne de la catastrophe électorale de2015 et de la fin constitutionnelle du mandat du président le 7 février 2016…afin qu’il puisse parachuter un successeur qui lui soit dédié ou qui lui soitlié, comme après 1986 les tontons macoutes avaient tenté de prolonger la duréede vie du duvaliérisme sans Jean Claude Duvalier. Le pouvoir néo-duvaliéristede Sweet Micky alias Michel Martelly connaît parfaitement son modèle, lejeanclaudisme illusionniste, et il entend poursuivre sa stratégie garantissantla perduration du néoduvaliérisme en Haïti (voir Robert Berrouët-Oriol :« Le retour du duvaliérisme enHaïti sous le manteau rose de la « réconciliation nationale » : http://www.berrouet-oriol.com/droit-de-parole/les-editos/retour-du-duvalierisme-haiti). Il est donc « logique »que ce pouvoir néo-duvaliériste attaqueaussi violemment Liliane Pierre-Paul et Jean Monard Métellus :en réalité c’est l’idée même de démocratie et d’État de droit qui est attaquéesous couvert de méringue carnavalesque.
Tel me semble être le véritableenjeu à l’œuvre dans la conception et la diffusion de méringue carnavalesque « Ba l bannann nan », dans la manière dont Sweet Micky alias Michel Martelly exprime sa tortueuse misogynie,son profond mépris des femmes haïtiennes qui est, en structure profonde de sonpropos, un radical mépris pour l’entrée des femmes haïtiennes dans unecitoyenneté moderne et responsable. Et pareil mépris se donne également à voirdans d’autres secteurs de la vie nationale. Ainsi, la présidence duchanteur-amuseur public a réactivé et alimenté le préjugé de couleur en Haïti, l’arroganceméprisante des mulâtristes contre le reste de la population ; elle a pourl’essentiel mobilisé (rale yon bak) etconforté ce que la société haïtienne a de plus obscur, de plus réactionnaire etde plus mystificateur dans la gouvernance du pays, au point où certaines âmes pieusesivres de promesses se sont laissé piéger, ont cru que le tandem Martelly/Lamotheavait une « vision éducative » pour le pays (projet Psugo) sinon une« vision équilibrée de la question linguistique haïtienne » etdu créole (projet Académie créole)…
Début février 2016, l’un destermes de l’alternative qui se tisse est bien de contrer efficacement lastratégie de perduration du néoduvaliérisme en Haïti dans l’après Martelly: le très court terme saura le montrer. L’autre terme pourrait être l’exercicedu droit citoyen de Jean Monard Mételluset de Liliane Pierre-Paul de porter plainte dès le 8 février 2016 contre ledénommé Michel Martelly redevenu simple citoyen et ne bénéficiant plus del’immunité attachée à la fonction présidentielle. Pareille plainte devant lesjuridictions nationale et internationale compétentes sera un temps fort et auravaleur d’enseignement, notamment pour les jeunes, dans le combat des femmes haïtiennespour le respect et la dignité et vers l’accès à la pleine citoyenneté.