Parution de « Éloge de la mangrove »de Robert Berrouët-Oriol
ÉditionsTriptyque, Montréal, février 2016
Tableau illustrant la page couverture : création spécialedu peintre haïtien Ralph Allen.
Commepour clore le triptyque inauguré avec Poèmedu décours, le poète nous propose aujourd’hui son Éloge de la mangrove : une ultime et toute aérienne géographiede l’intime qui parfois emprunte le chemin de la traversée de la mémoire desdeux îles habitant son imaginaire, Montréal et Haïti. Dans la conjonction devers libres finement ciselés et l’irruption d’une haute prose poétique, voici àl’œuvre le troublant chœur des voix qui hante le propos du poète.
Éloge de la mangrove,Robert Berrouët-Oriol
Par Hugues Corriveau
Le Devoir, 6 février 2016
Parleur, « délireur » demots, « traverseur » de paysages, RobertBerrouët-Oriol tient encore sa langue à bout d’effets et d’affects, plein qu’ilest d’une passion inassouvie pour Haïti, et pour une poésie généreuse etsomptuaire. Il se veut « tailleur de mots / sur la matriceépierrée des idiomes ». Après ses Six picolos pour unemangrove en vers libres, le poète propose ses grandes proses deson Éloge de la mangrove dans lesquelles s’éploie unesensualité linguistique proche d’un érotisme tremblé de la langue natale.Il « plie déplie replie folles oraisons à défaufiler surplisélimés d’insanes et bacchantes messes dans la matrice dévêtue desmots ». On se dit que plus de retenue, parfois, ouvrirait plussimplement cet emportement des sentiments ; on se dit, a contrario,que, se retenant, le poète perdrait sans aucun doute ce souffle intérieur quiregorge de cette pathétique ambition d’accéder au plus haut lieu d’une langueadmirée. Ce recueil clôt le triptyque amorcé par Poème du Décours (Triptyque,2010) et Découdre le désastre (Triptyque, 2013). Ce troisièmevolet poursuit cette quête de textes confits de « leursondulations sous trémulements ébahis entre hautes et basses fréquences oùs’accordent toutes bacchanales des formes et du Sens ».
Source : Le Devoir
Extraits de « Éloge de la mangrove »
blanche canne qui déchausse précoces arpentages etbat paupières de toutes saisons d’enfance blanche canne pour enfin recoudre lefil liant mes cahiers pubères ils fleurent colle décatie annoncent l’éloge dela mangrove que j’esquisserai par encre de Chine et d’alluvions au défilé duparler vrai sais-tu que j’ai longtemps archivé chacune de mes démences à pascloutés sur les récoltes anémones de ta margelle mes pains d’épices auxsenteurs anonymes et croupes affamées errent encor ébahis sous spasmes rieursde l’Autan telles miennes paroles jadis proférées me ramènent jour après jour àl’anastrophe de la mangrove
en toi je plie déplie replie folles oraisons àdéfaufiler surplis élimés d’insanes et bacchantes messes dans la matricedévêtue des mots je rallume élémentaire cens de vie je le recouds à miennedéperdition des sens en toi s’étale mon staccato mes fêlures boomerangs madréeste font la nique elles longent le Saint-Laurent bifurquent par Trois-Rivièreset Québec jusqu’au ponton de La Guinaudée ô rituel d’épissures contre leclapotis de tes ils désormais ma langue ballerine ne conjugue sur ton sas queliminaires suppliques
et voici que pour chaque note de l’éloge j’ouvrevoix au syllabaire du jour passant à pieds fertiles tant de frontières délavéesj’ourle leurs langues voyageuses elles copulent depuis la nuit des temps auxlisières du Poème j’y ai souvent troqué mes silences statufiés mesmots-chrysalide mes épigrammes de mémorielle migrance légués par l’aïeul dupremier patronyme qui longea Poème dudécours au Tropique Sud du Génois chevauchant les caravelles gavées d’or dela Reina sabre au clair sur la nuque offerte du Taïno sabre au pair dans leventre si festif de la Peule mais comment Découdrele désastre éfaufiler les malédictions enchaînées comment ramoner mon chantde chaude lune adossé aux caïeux prodigues des palétuviers lorsque chancelantesmes mains sur la farandole d’un compas cherchent labile quitus de soi
c’est par le chant de l’autre aïeul du secondpatronyme ayant jeune quitté le Monte Cinto en italienne Corse que défilal’éloge de la mangrove un jour provisionné d’aventures et de bois-debout encarafe par périlleuse traversée en aller simple entre Naples Rome NantesBasse-Terre et Jacmel lui partant chamarré pour les isles à sucre il gaulel’autre engagé de première classe qui veille dans les cales des vaisseau du royla geste désespérée des Nubiles défiant par dessus bord dans l’infâme traverséedes voies salées la malédiction des neufmois ventrus
ainsi fut confié au Nordé sous seing sacré et bribeshachurées le ludique et mâle éloge de la mangrove y voir sans doute parl’halètement de mon Poème somnambules pentacles au long bras des palétuviersles jeux de mains de l’enfance y ont laissé leurs traces en confection designes et de sens à l’appel du Temps sans lettres patentes il prit pourtant lelarge sache ô secrète Amande que c’est dans les plissures de ta langue aucalendrier des jours étonnés que cette fable de migrance me fut aussi contéeelle rit et rit sous cape et bruisse encor de ses arabesques de ses notes deses médiales césures